Chapitre 129 : De nouvelles ailes

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 Après avoir quitté la ville et s'en être éloigné quelque peu, le groupe venu de l'autre monde ainsi que leur guide firent une première pause à la demande d'Elirielle. Leur périple venait à peine de commencer et les murs d'enceinte de la ville étaient presque encore visibles à l'horizon. S'arrêter si tôt était pour le moins étonnant.

— Si on fait une pause toutes les dix minutes, on n'est pas rendu ! S'exclama Elyazra.

— Tais-toi et laisse-moi me concentrer, lui rétorqua la dragonne.

Vu qu'elle usait déjà de sa magie, Syara comprit pourquoi elle avait demandé cette pause. Le but n'était pas de se reposer, mais de revêtir leur camouflage à présent que personne ne les voyait. Là où la première version de leurs ailes n'avaient pas pris bien longtemps pour se matérialiser, cette fois-ci, le processus fut bien plus long.

Pourtant, lors de sa démonstration, les siennes étaient apparues presque immédiatement, réfléchit la beast. Ça n'était cependant pas le moment de la harceler avec ses questions. Elle la laissa donc achever son sort d'illusion et vit que les ailes n'apparaissaient plus en même temps dans le dos des autres, mais une par une et se construisaient presque plume après plume.

Au final, il lui avait fallu presque une demi-heure pour que chaque membre du groupe ait son déguisement de prêt. Lorsqu'elle mit fin au sort, la dragonne souffla et s'épongea le front, puis sourit en admirant son travail.

— Alors ? Qu'en penses-tu ? Demanda-t-elle en se tournant vers Élane.

— Comme hier, sans savoir qu'elles ne sont pas réelles, je m'y serais laissé prendre, répondit l'ange en applaudissant.

— Je ne veux en aucun cas te vexer, mais moi je ne vois aucune différence, répondit Orélius. Qu'ont-elles de si différentes par rapport aux autres ?

— On peut considérer que les précédentes étaient trop grossières. Je les avais faites d'un seul bloc en recopiant une dizaine de modèles de plumes différentes. Nous avions donc tous les mêmes ailes et, pour les anges, c'est comme si nous nous étions présenté à eux avec exactement la même coupe de cheveux à la mèche près et que chacune de ces mèches formait un bloc compact et non un amas de cheveux distincts. Là, toutes nos ailes sont différentes et sont des assemblages de plumes uniques. Vous comprenez pourquoi cela m'a pris autant de temps à les créer.

— Maintenant que je sais qu'elles ont été faites plume après plume, je me dis que ça a même été rapide, répondit Phi.

— Bon, d'accord, on a tous des ailes différentes. Mais je peux savoir pourquoi les miennes tirent la gueule comme ça ? S'exclama Elyazra.

Regardant plus en détail les ailes de sa sœur, Syara remarqua qu'elles étaient effectivement encore plus différentes des autres. Les siennes semblaient manquer de plumes et d'autres étaient vraiment abîmées. De plus, si faire des mouvements avec les épaules leur permettait de les mouvoir plus ou moins, les siennes ne bougeaient presque pas et restaient repliées dans son dos.

— Ça, c'est une idée du baron. Nous avons beau avoir des ailes convaincantes, il nous faut une excuse crédible pour expliquer que nous marchons au lieu de voler. Si quelqu'un vous demande, Elyazra a été blessée, personne n'arrive à la soigner et nous allons voir le déchu pour voir si lui peut l'aider.

— Bon, d'accord pour cette histoire d'excuse, mais pourquoi moi ?! Insista la demie-dragonne.

— Parce que je sais de source sûre que tu n'arrives pas à voler convenablement à l'aide d'un sort contrairement à ta sœur. Pour Phi, la question ne se pose même pas vu qu'elle utilisera ses propres ailes pour faire illusion.

— Et Orélius alors ?

— J'avais le choix entre vous deux et ça s'est finalement arrêté sur toi parce qu'être blessée ainsi correspond bien plus à ta personnalité qu'à celle posée et réfléchie de ton cousin.

— Et puis ça t'apprendra ce qu'a enduré Sae lorsque tu lui as brûlé les ailes, ajouta Syara avec un léger sourire en coin.

— Quoi ? Tu m'en veux encore pour cette histoire ? Même elle me l'a pardonné alors s'il te plaît, apprend à passer à autre chose !

— Vous avez brûlé les ailes de quelqu'un ? Questionna Élane, un frisson d'horreur le parcourant de la tête aux pieds.

— Vous pourrez discuter de tout ceci en chemin. Il est temps de reprendre la route, décida Elirielle.

Avec sa question, l'ange authentique avait amorcé le sujet de conversation qui les occupa pour la suite de leur marche. Syara remit ainsi tout dans le contexte, expliquant ce qu'était une harpie et dans quelles circonstances Elyazra en était venue à lui brûler les ailes. Élane se désola de savoir que, même dans l'autre monde, il existait une hiérarchie entre les êtres pensants et que certains étaient considérés comme des inférieurs, voir des nuisibles.

La beast était d'accord avec lui, mais précisa tout de même qu'ils agissaient ainsi car les harpies étaient réputées pour être territoriales, agressives et belliqueuses. C'est en épargnant cette harpie et ses sœurs, en les soignant et en libérant leur village de l'emprise de leur matriarche qu'un changement avait été amorcé et que les préjugés avaient sauté d'un côté comme de l'autre.

Elle lui apprit que Sae était devenue une impératrice, une harpie au-dessus de toutes les autres qui pouvait contrôler ses semblables du monde entier quel que soit l'endroit où elle se trouvait. Plutôt que de faire comme celles qui l'avait précédé, elle avait choisi la voie de la paix avec les autres races. Un chemin difficile et semé d'embûches sur lequel la violoniste et ses amis l'avaient aidée à faire les premiers pas.

Élane était fasciné par cette histoire. Pour lui, de telles interactions d'égal à égal entre les races étaient quelque chose d'absolument inconnu. Si, sur les territoires administrés par sa famille, la discussion était ouverte, la décision finale revenait toujours aux anges sans que personne n'ose s'y opposer. Dans d'autres terres où la relation était plus dominatrice que symbiotique, cela avait mené à de véritables catastrophes. Les anges, se sentant supérieurs par rapport aux autres, n'écoutaient pas les arguments, aussi sensés et pertinents soient-ils et prenaient parfois des décisions stupides que les autres devaient appliquer contre leur gré.

Le fils du baron enrageait à cette idée et avait honte de son peuple. Lui qui désirait le bien de tous rêvait parfois d'un exode massif de tous les peuples vers les terres de son père, mais la réalité était plus dure et plus complexe qu'un simple rêve. Il n'y avait pas de place pour tout le monde et, même si c'était le cas, ceux qui viendraient ne seraient pas libres pour autant et toujours sous la juridiction de leurs terres d'origine. Tout comme du bétail dont chaque bête aurait été marquée, l'un d'eux avait beau aller paître dans le champ du voisin, il n'en restait pas moins la propriété de son éleveur d'origine.

En l'entendant développer ainsi la manière de fonctionner de ce monde, Syara ne put s'empêcher de penser à une chose. Une fois la guerre écartée, ne pourrait-elle rien faire pour changer les choses ? Il s'agissait certes d'un autre monde, avec ses propres règles et où elle n'avait normalement pas à intervenir, mettre son nez dans des affaires qui ne la concernait pas était devenu une spécialité chez elle, voir même un petit plaisir personnel. Pour l'heure, il n'était pas question de ça, mais la graine avait été plantée dans son esprit. Peut-être allait-elle germer et pousser au cours de ce périple.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant