VII. Damoiselle Rose, dans des plans très foireux impliquée

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Le cri qui résonna ce matin-là dans les couloirs du manoir fut poussé sur le même ton aigu et hystérique que de coutume. Mais à la différence de ce à quoi étaient accoutumés les occupants de l'imposante demeure – qui tâchaient alors de s'arroger quelques ultimes bribes de sommeil –, il ne se déclinait qu'en deux inhabituelles syllabes, répétées plusieurs fois, cela dit, pour plus d'efficacité sans doute.

– Ro-se ! Rose ! Roooooose !

Edelweiss, clopinant tant bien que mal sur sa jambe blessée – tant et si bien bandée qu'elle ressemblait fortement à un membre momifié – parcourut sans guère d'égard pour la discrétion le couloir qui ralliait sa chambre à celle de son aînée. Une fois arrivée à bon port, elle s'évertua de sortir la porte de Rose de ses gonds à grands coups de poing frénétiques.

– Rose, réveille-toi ! Rose !

Ladite porte finit par s'ouvrir, si brusquement qu'Edelweiss, qui s'y tenait adossée pour soulager sa jambe blessée, tomba comme une colonne déséquilibrée, pour atterrir droit dans les bras d'une Rose moyennement réveillée et à l'humeur maussade.

– ... peuxsavoircequetuveux ?

– Formidable nouvelle ! s'exclama Edelweiss en se remettant plus ou moins sur pied. Regarde, regarde !

Elle agita frénétiquement la gazette locale sous le nez de son aînée, qui put apprécier l'odeur du papier et de l'encre à peine séchée – quoiqu'elle eut largement préféré celle des croissants et du café brûlant.

– Wow, un journal, maugréa-t-elle sans se laisser entraîner par l'enthousiasme de sa demi-sœur. Je n'en avais jamais vu d'aussi près ; quelle expérience merveilleuse. Merci Edel. Je peux retourner dormir ?

La blondinette protesta par de grands cris et se mit à pointer ledit journal plus frénétiquement encore. Un peu malgré elle, Rose daigna laisser son regard courir sur les quelques lettres capitales qui formaient les gros titres.

EMPOISONNEMENT D'UN ARBRE CENTENAIRE

EN PLEIN DISCOURS D'INAUGURATION DE LA NOUVELLE MINE A CIEL OUVERT :

LES EXTRÉMISTES ÉCOLOGISTES ONT ENCORE FRAPPE !

Il fallut un instant à Rose pour digérer l'information.

– Comment ça, « encore frappé » ? C'était là première fois qu'on frappait, que je sache ! se plaignit-elle finalement, avant de faire signe à Edelweiss de la suivre dans sa chambre et de lui proposer un siège, par égard pour sa jambe mal en point.

À deux, les demi-sœurs passèrent l'article en revue. La cadette ne faisait preuve que d'une excitation non feinte, visiblement très fière de son coup d'éclat. Rose, en ce qui la concernait, se sentait partagée entre plusieurs sentiments. D'une part, il y avait un soulagement intense : les journalistes faisaient état d'un « empoisonnement éclair de l'arbre, doublé d'un incroyable timing » ; pas un n'imaginait le côté plus surnaturel qui enrobait la vérité. D'autre part, il y avait toujours cette culpabilité immense, renouvelée par le fait que le journal affiche en première page une photo du malheureux frêne décimé par sa fureur. Et puis finalement...

– Mais c'est Olivier ! Là, juste là !

Rose n'avait pas pu retenir l'exclamation tant sa surprise était grande, et elle s'en voulut immédiatement après. Edelweiss tourna un regard suspicieux vers elle, les sourcils froncés en une expression indiquant sans doute possible que sa sœur allait avoir à répondre à un interrogatoire en bonne et due forme.

– Olivier... murmura-t-elle, comme pour tester la résonance du prénom sur ses lèvres. Je t'écoute, vas-y.

– Oh, il n'y a quasiment rien à dire ! s'agaça Rose. Il m'a tiré d'un mauvais pas, je l'ai trouvé charmant, nous avons dansé, et voilà, rien d'extraordinaire !

Pétales de Rose et rameau d'OlivierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant