XXII. Damoiselle Rose, entre des feux croisés piégée

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Un vent de stupeur soufflait à travers la jungle, serpentant entre la végétation pour emprisonner Inga et Aguaje dans sa gangue tourmentée. Le fils de Donatien de Tantale, le fils unique de leur ennemi, de cet homme qui avait refusé de les écouter au nom de la sacro-sainte économie et qui menaçait désormais de détruire leur village, leurs huttes de branchage, leur sanctuaire et leurs vies, se tenait devant eux, sans armes et sans défense. Nul besoin d'être un génie pour comprendre quel serait le prochain mouvement entrepris par les indiens. Les yeux d'Inga s'étrécirent tandis que l'idée faisait son chemin au cœur de ses pensées. Elle se redressa et chercha son propre fils du regard, fiévreuse.

– Aguaje, immobilise-le, souffla-t-elle finalement, d'une voix calme mais sans appel.

– Non ! Non !

Rose avait prévu la chose et s'interposa vivement entre ces deux hommes qui avaient eu le cœur de l'embrasser, et qui s'apprêtaient maintenant à se battre – quoique le combat s'avérerait sans doute des plus inéquitables, opposant un pur intellectuel au musculeux Aguaje.

– Tu devrais t'écarter, Rose, murmura Olivier dans son dos, s'exprimant avec calme et gravité. Je ne veux pas que tu sois blessée à cause de moi. Il ne m'arrivera rien, tu sais ; je parviendrai à les convaincre que je suis de leur côté !

La rouquine fut émue de la confiance que son ami portait en leur cause ainsi que du souci qu'il se faisait pour elle, mais n'en bougea pas plus. Elle défiait Aguaje du regard, lui interdisant d'esquisser ne serait-ce qu'un seul mouvement de plus.

– Laisse-le tranquille ! aboya-t-elle. Nous sommes en plein cœur de la jungle, où veux-tu qu'il s'enfuie ? Et puis, ce n'est pas comme s'il était dangereux ! Il n'est même pas armé.

Le jeune indien fit la moue et haussa les sourcils, mais n'abandonna pas sa posture menaçante pour autant.

– Rose, s'il te plaît, ne complique pas les choses, s'efforça-t-il de la raisonner. On ne va pas le manger, tu sais. Juste l'attacher un peu à un poteau et éventuellement le livrer aux termites, mais rien de trop mortel.

La jeune femme n'en bougea pas plus. Elle jeta un regard suppliant à ses amis, sa famille, mais Chardon et Valerian s'étaient perdus dans un nouvel échange salivaire et ne semblaient pas prêter la moindre attention à ce qui se passait autour d'eux, tandis qu'Edel demeurait sur ses gardes, tiraillée entre son affection pour Olivier et sa loyauté de longue date envers les indiens ; à moins qu'elle ne fasse que semblant et ne soit occupée à imaginer un plan pour tirer Olivier de cette impasse, ce qui semblait plus probable, en fait. Mais la terrible vérité demeurait : seule une frêle petite Rose se dressait entre le fils de Donatien de Tantale et une tribu indienne pas forcément de très bonne humeur.

– Écartez-vous, Rose.

Inga semblait en avoir assez de toutes ces simagrées et entrait à son tour dans la danse, espérant sans doute qu'un petit coup de pouce de sa part mettrait fin aux hésitations de son fils. Elle demeurait plus sérieuse que jamais, le visage dur comme un roc et fermé à toute négociation. Visiblement, elle entretenait le sentiment d'avoir été grugée. Aguaje, heureusement, ne fit toujours pas mine de bouger.

– Je t'en prie Rose... murmura-t-il encore. Si ce type est bien celui qu'il prétend être... il se moque de toi, il se sert de toi. Ne le laisse pas t'abuser.

– Je sais qui il est, et je sais ce qu'il vaut ! protesta vaillamment la rouquine, intervention qui tira un soupir de soulagement mêlé de fierté à Olivier, qui se tenait toujours derrière elle – et tentait lui aussi de la pousser sur le côté.

En face, Aguaje haussa un sourcil dubitatif et afficha une expression dégoûtée, qui n'était pas sans rappeler les mimiques d'Edelweiss lorsque son père lui ramenait de ses voyages quelque babiole clinquante pour petite fille – le second époux de Camomille avait une vilaine tendance à mettre ses trois filles sur un pied d'égalité, ignorant le fait que la première soit âgée de seize ans quand les jumelles en affichaient quatre et demi au compteur. Quoi qu'il en soit, la situation s'apprêtait à dégénérer et Rose demeurait impuissante. Elle appela Edel à l'aide d'un regard suppliant, mais cette dernière ne put que hocher la tête en signe de dénégation. Pas de plan, pas d'aide à attendre de sa part. Et la blondinette ne s'abaisserait sans doute pas à supplier comme se sentait capable de le faire sa sœur aînée – si elle ne possédait pas la noblesse de la rose, l'edelweiss demeurait une fière petite fleur, trop habituée à côtoyer les sommets. En désespoir de cause, la jolie rouquine opta donc pour un changement de stratégie. Elle ficha un coup de coude dans les côtes d'Olivier pour le forcer à se taire et leva un visage mutin vers le jeune indien, le fixant droit dans les yeux et refusant de le laisser briser le contact.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant