XIII. Damoiselle Rose, par la vérité assomée

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Chardon fut la première à croiser le chemin de Rose, et elle se jeta à son cou en dissimulant mal son expression affolée.

Terra mater, mais quelle idée de disparaître de la sorte ! Nous nous sommes fait une sève d'encre tout l'après-midi ! Je suis tellement contente que tu ailles bien ! Je me suis tellement inquiétée ! Sérieusement, ne m'abandonne plus jamais en compagnie de cet imbécile de Valerian – et d'Edelweiss qui ne vaut guère mieux ! Oh Rose, heureusement que tu es rentrée !

La rouquine parvint à l'éloigner après quelques paroles rassurantes, mais ce ne fut que pour mieux essuyer les cris hystériques de l'aînée de ses demi-sœurs.

– Raconte-moi tout ! Raconte-moi tout ! piailla Edelweiss en sautillant tout autour de Rose et de Chardon. Tu l'as manipulé ? Tu as appris des choses utiles ? Tu t'es fait percer à jour ? Tu as complètement oublié et t'es contentée de jouer les damoiselles en détresse ? Tu t'es de nouveau échappée en pirogue ? Ah non, tu as toujours ta robe. Tant pis pour les alligators. Tu...

– Edel, calme-toi. J'expliquerai. Plus. Tard.

Rose fixa sa sœur d'un regard qui l'intimait au silence – avec un succès relatif cependant, puisqu'au lieu de s'adresser à elle, Edelweiss se mit à grommeler pour elle-même, ce qui lui donnait un air légèrement angoissant, quand on lui prêtait bien attention.

Rose avait cependant mieux à faire. Elle s'esquiva dans le couloir et rallia l'escalier qui menait aux étages, adressant au passage un monstrueux sourire pas forcément très innocent aux membres de la maisonnée installés sur les fauteuils et canapés du salon.

– Rose ? l'interpella Camomille au passage.

– Oui Maman ?

– Edel m'a dit que tu rentrais tard car tu t'étais rendue à un concert de chant grégorien. C'est exact ?

Elle portait sur son visage le masque de la suspicion absolue – chose plutôt rare, car Camomille s'avérait généralement assez encline à gober les incroyables histoires qui lui servait Edelweiss. Cela dit, vu l'excuse, Rose pouvait difficilement lui en vouloir ; difficile d'adhérer à pareille idiotie.

– Un concert de chant grégorien, parfaitement, déclara-t-elle cependant avec autant d'aplomb qu'elle en était capable, forcée de coller à l'invention abracadabrante de sa demi-sœur sous peine de s'attirer plus d'ennuis qu'elle n'en avait déjà.

Et dire qu'elle avait demandé à Edelweiss de lui inventer une excuse crédible. Elle aurait dû souligner trois fois le mot sur le billet qu'elle lui avait fait parvenir. Ou alors en copier une définition au bas de la page. Ou mieux encore, le remplacer par une excuse de sa propre invention. Ou charger Chardon d'en inventer une. Mais non, il avait fallu que, dans un moment de faiblesse, elle se permette de croire qu'Edelweiss était capable de la tirer d'affaire. Bon, qu'importait ; se lamenter sur la bêtise de ses choix ne pouvait les modifier en rien, et elle allait devoir se prétendre passionnée de chant grégorien pour les quelques semaines à venir si elle voulait éviter de récolter une nouvelle punition alors que l'actuelle n'était même pas encore terminée.

– Je vais aller... donner un compte-rendu du concert à grand-mère Gaïa, d'ailleurs, balbutia-t-elle encore. Elle sera sans doute très intéressée.

– Sans doute, persifla Camomille en haussant les sourcils en une expression vacillant entre incrédulité et découragement. Et ensuite tu reviendras me voir et nous discuterons ensemble de ce qui est un bon mensonge et de ce qui n'en est pas un.

Rose ne prit pas la peine de répondre, sentant les ennuis lui coller au train tandis qu'elle escaladait les marches qui grimaient jusqu'au grenier de Gaïa.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant