XVII. Damoiselle Rose, par la réalité - et le manque de sommeil - rattrapée

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Le réveil fut difficile. Non seulement parce que Rose et Olivier avaient passé une bonne partie de leur temps de repos à ne pas se reposer, justement, mais également parce qu'Edelweiss crut bon de réveiller Valerian en lui lançant l'une des chaussures de Chardon, ce qui eut évidemment le don de mettre le feu aux poudres et de débuter une charmante petite dispute matinale comme leurs deux tourtereaux hystériques – ainsi que les nommait Edel – en avaient le secret. Tout cela se serait inscrit dans un cadre encore acceptable si les cris précités n'avaient pas tiré de leur sommeil, en plus de deux amoureux tout étourdis par la longue nuit – hier soir deux inconnus –, non pas un, mais quatre anacondas de plus de cinq mètres de long, auxquels il ne suffisait pas de parler pour les apprivoiser. Rose se dit que la journée était partie pour n'être qu'un terrible rendez-vous dans ce bayou avec des fous, qui vivaient le poignard à la main du soir au matin.

Bref, ils empaquetèrent leurs affaires plus vite qu'ils ne les avaient déballées – cela posa un léger problème à Edelweiss, mais elle parvint à s'en sortir sans trop d'encombres, n'abandonnant que son bocal de cornichons à moitié entamé derrière elle. Les sacs furent chargés, les pirogues mises à l'eau, et le périple reprit. À la différence que cette fois, les habituelles lueurs opalescentes ne tardèrent pas à cerner les trois embarcations, laissant bientôt émerger le troupeau de licornes qui avait passé la nuit en compagnie d'Olivier et de Rose. Celle-ci parvint alors à se réveiller assez pour récupérer un minimum de sens commun, et apprit à ses compagnons de voyage que les sublimes créatures entendaient les escorter auprès de la tribu indienne d'Aguaje.

Edelweiss en parut ravie. Valerian et Chardon s'estimèrent très heureux de ne plus avoir à partager leur canot ; Rose et Olivier, un peu moins heureux. Mais qu'importait : tous enfourchèrent fougueusement l'une des créatures équines qui nageaient à leurs côtés, et le périple put reprendre, bien moins éreintant qu'auparavant toutefois, puisque les pagaies ne se révélaient plus nécessaires.

La journée s'avéra délicieuse. Une fois Valerian et Chardon calmés, ils se montrèrent tous deux sous leur meilleur jour, s'appliquant à incarner les parfaits compagnons de voyage. Rose, en ce qui la concernait, s'émerveillait de tout depuis qu'elle voyageait à dos de licorne du bayou, et plus sur une pirogue branlante menaçant de chavirer à chaque mouvement un peu brusque. Elle découvrait la jungle d'un œil neuf maintenant qu'elle se sentait en sécurité auprès de ses merveilleuses amies. Il émanait une telle beauté de cette nature sauvage que l'œil peinait à le croire, enchanté par tant de merveilles, par de telles explosions de formes et de couleurs qu'il ne savait plus sur quoi se concentrer.

– Je n'arrive pas à croire que Gaïa puisse envisager d'annihiler une telle merveille ! soupira-t-elle, alors que la matinée touchait à sa fin, s'étirant vers un après-midi chaud et paresseux.

– Ne m'en parlez pas, grommela Olivier, plus maussade. En ce qui me concerne, je ne puis croire que mon père puisse seulement envisager de détruire ne serait-ce qu'une infime parcelle de cet endroit. Je ne le savais pas ce genre d'homme... Je ne crois toujours pas qu'il le soit, d'ailleurs.

Il paraissait perturbé, les sourcils froncés et la mine soucieuse. Rose aurait voulu pouvoir se lover dans ses bras pour le rasséréner, mais la chose demeurait impossible tant qu'ils chevaucheraient leurs étranges montures écailleuses et cornues.

Les multiples interventions d'Edelweiss, que la bonne humeur ne désertait pas depuis le début de leur périple, permirent heureusement de lui faire oublier ses tracas. Les pitreries de la blondinette parvinrent même à arracher un sourire à Olivier, lorsqu'il la vit mettre à l'eau sa famille de canard en plastique, afin que ceux-ci puissent également « goûter à la liberté qui devrait être celle de chaque canard en plastique aspirant à une vie meilleure et à la possibilité de nager en des eaux libres et sauvages ».

Pétales de Rose et rameau d'OlivierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant