XII. Damoiselle Rose, en un duel engagée

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Donatien de Tantale les rejoignit avec un peu de retard, s'attirant un regard outré de la part de sa cuisinière – une femme d'une trentaine d'années au visage sévère et aux petites lunettes carrées, ne correspondant en rien à l'image que Rose se faisait d'une matrone passant ses journées à préparer de bons petits plats ; pour correspondre à l'imaginaire de Rose, la femme aurait dû s'avérer mieux en chair.

Le père d'Olivier prit place au bout de la table, tandis que son fils faisait face à leur invitée. Rose n'avait ainsi qu'à étendre la jambe pour que son pied frôle le mollet du jeune homme ; mais si la pensée lui traversa la tête, elle s'en abstint néanmoins, craignant de se tromper de cible, et viser – fort maladroitement – Donatien de Tantale.

– Pouvons-nous commencer, Monsieur ? s'enquit la cuisinière, visiblement pressée de servir ses plats – sans doute pour éviter que ceux-ci ne refroidissent.

– Nous attendons encore Janvier ! l'arrêta le maître de maison. Il finissait de taper un courrier pour moi, il devrait arriver d'une seconde à l'autre. Puisque nous avons déjà une invitée pour ce soir, je lui ai proposé de se joindre à nous. Tu ne m'en veux pas, n'est-ce pas Oli ?

Le jeune homme se composa une mine indifférente.

– Pas le moins du monde, Père, murmura-t-il.

Ce qui ne l'empêcha pas de couver sa jeune amie d'un regard inquiet. Cette dernière se força à sourire pour le rassurer, et se permit même de céder à son impulsion et de caresser son mollet du bout des orteils – s'étant auparavant débarrassée de sa sandale droite. Olivier manqua de sursauter, mais l'apparence détachée qu'il avait adoptée l'aida à demeurer serein. Il hocha la tête de gauche à droite en signe d'incrédulité, ne pouvant cependant dissimuler son expression amusée.

– Pardonnez mon retard, me voilà ! s'exclama soudain la détestable voix suave de Janvier, tandis que le personnage faisait irruption dans la salle à manger, sans guère de manières – ou du moins Rose l'estima-t-elle.

Il balaya la pièce du regard, adressa un signe de tête narquois à la cuisinière, qui attendait toujours sur lui, puis se dirigea enfin vers la table. Il passa à côté d'Olivier sans s'arrêter, contourna la chaise de Monsieur de Tantale, pour finalement s'octroyer celle qui se trouvait juste à côté de Rose. À cet instant-là, la jeune femme sentit la sève qui parcourait ses veines se glacer comme de l'eau, et elle perdit toute envie de flirter ou de s'amuser. Seule demeurait sa mission, comme une lumière vive au bout d'un tunnel, seule justification au fait qu'elle se ne lève pas de suite en exigeant qu'on la raccompagne chez elle. Oui, assez joué. Rose entrait en guerre.

La guerre en question débuta par un plat de fruits de mer, où Rose dut batailler ferme pour décortiquer ses langoustines. Elle y parvint tant bien que mal – et ce sans tacher sa jolie robe, qui plus est – et essuya fièrement les regards des hommes de la tablée, lesquels s'essayaient à la tâche avec plus de discrétion.

– C'est vraiment délicieux, commenta-t-elle lorsqu'elle put porter à sa bouche le premier morceau de crustacé qui lui paraissait plus ou moins mangeable.

La conversation démarra réellement à l'arrivée du plat principal – du canard à l'orange, mais à l'assaisonnement duquel Olivier n'avait pris aucune part, puisqu'il se trouvait alors occupé à pimenter autre chose – à savoir sa relation avec une certaine jeune femme aux charmantes boucles rousses.

– Comment avancent les préparatifs pour la mise en chantier de la mine, Père ? questionna Olivier, d'une voix égale qui laissa planer le doute sur l'innocence de sa question.

– Oh, nous avons toutes les autorisations, soupira Donatien de Tantale. En revanche, les indigènes nous posent problème. Ils affirment que la portion de territoire sur laquelle nous allons implanter la mine à ciel ouvert est occupée par une tribu ancestrale, qui vivrait en communion avec la nature ou je ne sais quelle autre bêtise mystique. J'ai reçu deux de leurs émissaires aujourd'hui. Une dénommée Inga accompagnée de son fils – Aguaje si je me souviens bien, ou je ne sais quel autre nom à coucher dehors.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant