XXI. Damoiselle Rose, par les événements dépassée

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La main de Valerian n'atteignit jamais la gorge de Gaïa ; jamais ses doigts ne touchèrent la glaise qui constituait la créature, jamais sa peau ne frôla l'antique figure. Non, celle qui incarnait la terra mater, l'esprit originel, préféra fuir plutôt que d'affronter ce jeune homme, avec sa volonté de fer dans son corps de chair et d'os – si fragile pourtant. La victoire de Gaïa en cas d'affrontement ne faisait pourtant guère de mystère aux yeux de Rose, qui craignait réellement pour la sécurité de son ami. Mais il n'y eut pas de combat. Pas cette fois.

La silhouette de glaise sombre fondit comme elle était apparue, s'en retournant dans les entrailles de la terre. Le vide que laissa son départ sembla se répercuter tout autour d'elle, instaurant un silence de mort. Rose se sentit défaillir et glissa sur ses genoux, pour se rendre compte que le maléfice de Gaïa ne s'en était pas allé avec elle : ses pieds se trouvaient toujours enracinés au sol, comme de longues tiges menaçantes. Heureusement, Olivier parvint à la remettre sur pieds avant qu'elle ne glisse dans une position trop inconfortable. La rouquine le remercia à voix basse, profitant même du chaos autour d'eux pour déposer un baiser léger comme un papillon dans le cou de son sauveur.

– Que faisons-nous à présent ? osa soudain demander Chardon, la voix tremblante. Sommes-nous en sécur...

Elle ne termina jamais sa phrase, et pour cause : Gaïa n'en avait pas terminé avec ses captifs. Son départ, son refus d'affronter Valerian, ne constituait qu'une diversion bien pensée, le temps de lâcher sur eux un autre piège. Et de taille celui-là, de ceux auxquels on ne pouvait échapper, car ils vous encerclaient et s'étalaient partout, ne laissant pas le moindre abri.

Un tremblement de terre.

Les arbres autour de Rose semblaient fermement enracinés, aussi ne firent-ils que tanguer sous les à-coups violents de la terre, de ce phénomène gigantesque et grondant qui sembla durer des heures. Leurs larges troncs gémirent et grincèrent, leurs hautes cimes ployèrent, mais pas une ne céda. Des centaines d'oiseaux paniqués prirent leur envol, et le regard de Rose, désespéré, se raccrocha au ballet frénétique de leurs ailes multicolores qui les propulsaient vers le ciel, en sécurité. Comme elle aurait voulu pouvoir en faire de même ! Mais les seules défenses que pouvait se targuer de posséder une rose consistaient en de cruelles épines. Rien qui puisse la mettre à l'abri d'une telle force de la nature, d'un tel cataclysme ! En désespoir de cause, elle se raccrocha à Olivier, se réfugia au creux de ses bras tendres et forts, autant pour se rassurer que pour s'assurer que tout allait bien pour lui. Tout irait bien, oui, tout irait bien. Il suffisait de respirer et d'attendre. Mais que l'attente paraissait longue !

Lorsque Rose rouvrit les yeux, la terre semblait toujours valser sous ses genoux, mais cela n'était plus qu'une impression, une terrible réminiscence du phénomène qui venait tout juste d'assaillir leur petit groupe – et de le terrifier. En se fiant à son ouïe, la jeune femme eut vite fait de comprendre que le grondement s'était éteint, ravalé par les profondeurs desquelles il s'était tiré, et que le cauchemar venait de prendre fin.

– Cha, pousse-toi ! Bouge de là !

La voix aiguë d'Edelweiss tira un sursaut à tout le monde, et força ceux qui s'étaient affalés sur le sol à se contorsionner pour voir de quoi il en ressortait – leurs pieds, après tout, demeuraient enracinés sur place, situation aussi désagréable qu'angoissante.

Les yeux de Rose eurent tôt fait de s'arrimer à la silhouette fine de Chardon, près du portique. Puis elle vit le danger, et la terreur lui noua à nouveau les entrailles, tandis que ses doigts se crispaient convulsivement sur les poignets de ce pauvre Olivier. Le portique de cristal, si haut et si massif, s'était fissuré sous le choc, ébranlé si profondément par le tremblement de terre qu'il en perdait sa substance. Dansant et vacillant comme les arbres avant lui, il menaçait de s'effondrer à tout instant. De s'effondrer sur Chardon.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant