IX. Damoiselle Rose, par la chaleur incommodée

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Le lendemain de son étrange échange avec Aguaje, Rose vit la Mission Licorne revenir l'unique objet de ses pensées, harassée qu'elle était par Edelweiss. Les récents échecs de leurs tentatives visant à remettre la main sur Olivier pesaient sur les nerfs de l'adolescente, qui se faisait plus pressante et plus hystérique chaque jour. Aussi ne fut-il pas étonnant de la trouver excitée comme une puce lorsque Valerian annonça qu'il disposait d'un peu de temps libre, et qu'il acceptait d'aller faire un tour en ville en compagnie des filles.

Les trois fugueuses jusqu'alors confinées à leur chambre profitèrent de la sieste que s'accorda Camomille en début d'après-midi pour disparaître en douce, grimpant dans le vieux tacot que Valerian s'efforçait de démarrer, à l'autre bout du jardin.

– On aurait pu y aller en pirogue, si seulement ces satanés alligators ne l'avaient pas dévorée, déplora Edel, qui ne vouait aux voitures qu'un amour limité – comme tout esprit des plantes qui se respecte. Il faut que je demande à Aguaje de m'en fabriquer une nouvelle. Il est très doué de ses mains, tu sais Rose !

L'interpellée se sentit défaillir, tâchant de deviner si elle devait voir un message caché dans la réplique de sa sœur cadette – sans succès cependant ; Edelweiss avait parlé calmement et pouvait très bien s'avérer sérieuse.

– Une pirogue ? s'amusa Valerian, qui était enfin parvenu à démarrer le moteur. Ce n'est pas dangereux, ces trucs-là ? Avec les tourbillons, les rapides, les cascades, et puis aussi le bois flotté et les...

– ... les alligators, oui, compléta posément Edelweiss.

– C'est toujours moins dangereux que de monter dans ton épave, grommela Chardon, debout à côté d'eux. Tu as intérêt à ne pas trop nous secouer !

Rose ne releva pas son agressivité, lui accordant plutôt le point ; Valerian ne possédait effectivement pas un sens inné de la conduite, et les trajets en sa compagnie s'avéraient toujours mouvementés.

– Oh oui, grommela Edelweiss. Essaie de ne pas écraser la queue d'un alligator endormi cette fois ! Je n'ai pas envie que l'on se fasse – encore – courser jusqu'en ville. Le but, aujourd'hui, c'est de se montrer discrets !

Ils démarrèrent sur ces consignes de la plus grande sagesse, empruntant la petite route de terre battue qui reliait l'immense manoir familial à l'unique ville de l'Île – et encore, cette dernière ne méritait le nom de ville que par manque de concurrence plus sérieuse. En chemin, Rose put admirer à travers la vitre poussiéreuse les dédales marécageux du bayou, les cabanes sur pilotis et tout ce qui faisait le charme de cet environnement sauvage. Un soleil de plomb faisait miroiter les étangs, chaleur brûlante et dangereuse pour des esprits des plantes. Valerian et les filles ne tardèrent pas à éprouver la morsure douloureuse de l'astre du jour, et se trouvèrent forcés d'ouvrir les fenêtres pour faire circuler un peu d'air – et tant pis s'ils avalaient l'équivalent d'un sac de poussière de la sorte.

En règle générale, les habitants du manoir évitaient de sortir durant les heures les plus chaudes de l'après-midi, se confinant dans la fraîcheur des ombres de leur demeure – ce qui expliquait la sieste que s'accordaient presque tous les adultes, qui résistaient plus mal en vieillissant, laissant ainsi aux plus jeunes la possibilité de filer en douce sans avoir à monter de stratagèmes inutilement compliqués pour ne pas être repérés. Les occupants de la voiture commençaient cependant à regretter leur audace, tant la pesanteur physique qui s'abattait sur eux les jours de canicule leur semblait étouffante à ce moment-là.

– Ça va aller, les rassura Valerian, qui résistait mieux que les autres. Je vous inviterai à boire quelque chose dans un café bien frais à notre arrivée en ville, ça vous remontera le moral.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant