Épilogue : Juste Rose

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La figurine de glaise demeurait prisonnière de sa gangue de cristal. Ses contours ne se dessinaient plus aussi vaguement que quelques mois auparavant, cependant. On reconnaissait les traits de Rose sur le visage de la créature, et ses courbes apparaissaient également, dessinant l'ombre d'une jeune femme sacrifiée et non plus celle de la millénaire Gaïa. Edelweiss dardait un regard circonspect sur le tout. Sa sœur lui manquait.

Durant la bataille contre les bulldozers, lorsqu'Olivier était enfin redevenu l'allié qui était censé incarner, Edel n'avait pas compris ce qui pouvait motiver son revirement – comme tous les autres d'ailleurs. Mais le jeune homme avait élevé la voix contre son père et était parvenu à le convaincre de cesser la destruction. Sur le moment, ce seul fait suffisait aux indiens et à leurs alliés hybrides. Leurs efforts conjugués leur avaient permis de sauver le sanctuaire. Ce n'était que plus tard qu'Edel avait compris.

Elle se revoyait, ivre de fierté et de bonheur conjugués, arpentant la forêt du regard en quête de sa sœur aînée. Elle ne se souvenait pas l'avoir vue après leur séparation, lorsqu'elle avait sauté sur le bulldozer pour rejoindre Aguaje et que Rose avait poursuivi sa folle chevauchée à dos de licorne.

– Où a bien pu passer cette greluche de Rose ? s'était-elle entendu demander tout haut, n'obtenant que des haussements d'épaules de la part de ceux qu'elle interrogeait.

Le seul auquel elle avait tiré une vraie réaction, c'était Olivier. Il avait levé les yeux vers Edel, l'espace d'un instant, et murmuré d'une voix rauque :

– Je suis désolé.

Puis plus rien. Sur le coup, la blondinette avait cru qu'il faisait allusion à sa trahison préalable, puis à son soudain revirement. Elle n'avait cependant pas trop tardé à comprendre que la vérité dissimulée derrière les quelques mots d'Olivier était bien plus tragique.

Ensuite, le phénomène les avait tous pris par surprise, aussi soudain qu'inattendu : une étrange vague rouge s'était propagée d'arbre en arbre, de branche en branche, démarrant sa course depuis le sanctuaire. Edelweiss l'avait vu arriver après que Chardon ait attiré son attention sur l'étrangeté de la chose, d'un cri strident. Monsieur de Tantale ayant vraisemblablement décidé de stopper ses projets de destruction, la jeune fille en avait aussitôt conclut qu'il s'agissait de la revanche de Gaïa.

– Attention ! avait-elle hurlé, paniquée – après le tremblement de terre, qui savait quel maléfice naturel l'esprit de l'Île serait capable de lâcher sur eux pour se venger ?

La vague rouge s'était rapprochée à une vitesse folle, et les avait bientôt submergés. Edelweiss s'était attendue à un souffle de lave, à une bourrasque furieuse qui les arracherait tous de terre. Rien de tout cela. Il s'agissait de roses ; de centaines de roses, de milliers de roses, qui s'éparpillaient sur l'Île, poussant sur chaque centimètre carré, grimpant et s'enroulant autour de chaque tronc pour ne plus laisser paraître qu'une immense prairie épineuse, aux nuances carmins.

Alors enfin, Edelweiss avait compris.

C'était un rituel depuis : une fois par semaine environ, plus souvent parfois, la blondinette revenait sur les lieux du drame et se recueillant devant la figurine de glaise un moment durant. Edelweiss s'était résolue à accepter le sacrifice opéré par sa sœur, et l'admirait pour son cran. Suite à la transformation de l'Île, tandis que celle-ci demeurait recouverte de milliers de fleurs aux pétales vermillon, sa famille et ses amis avaient espéré qu'elle réapparaîtrait elle aussi. Après tout, Gaïa allait et venait comme il le lui plaisait, sous des formes diverses et variées. Pourquoi aurait-il dû en être autrement pour Rose, maintenant qu'elle incarnait la terra mater ?

Mais Rose ne semblait pas vouée à s'éveiller. Les raisons pouvaient s'avérer multiples : peut-être Gaïa l'avait-elle emprisonnée avant de s'en aller pour de bon, comme une ultime punition ; peut-être la malheureuse rouquine ne disposait-elle pas de la force intérieure et de la puissance nécessaire à s'incarner hors du sanctuaire ? Peut-être... Il pouvait s'agir de tant de choses. Le surnaturel régissait l'Île et l'embaumait de ses mystères. Edelweiss, petite fleur aux pétales blancs, ne pouvait prétendre tous les comprendre. Néanmoins, elle n'oubliait pas. Elle gardait en mémoire le sacrifice opéré par sa sœur pour les sauver tous, et se jurait de protéger son héritage.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant