XI. Damoiselle Rose, abondamment frustrée

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Le garçon timide et maladroit des débuts s'effaçait petit à petit pour laisser place à un homme plus joueur et largement plus sûr de lui. Rose appréciait le changement malgré elle, même s'il n'augurait rien de bon quant à la réussite de sa mission. À vrai dire, depuis qu'ils s'étaient tous deux installés sur le canapé, elle pensait bien plus à plonger ses doigts dans sa masse de cheveux bruns qui lui cachait la moitié du front plutôt qu'à interroger Olivier sur les intentions de son père et les plans d'aménagement de la mine à ciel ouvert. Edelweiss n'aurait pas été très satisfaite de sa performance ! Rose renifla, et se rassura en songeant que Chardon au moins lui aurait donné raison sur ce point : les boucles désordonnées d'Olivier constituaient effectivement un appel à la luxure.

– Ma demande vous choquerait-elle, Rose ? Vous n'avez pourtant qu'un seul mot à prononcer. Soyez gentille, donnez-moi un oui.

Rose se tira de sa transe, s'efforça d'arrêter d'imaginer la sensation de ses doigts dans les mèches soyeuses de son vis-à-vis et réorienta son regard sur quelque chose de moins dangereusement tentant. Ses yeux rieurs ? Non. Ses lèvres ? Encore pire. Ses... Ses... Rien à faire. À défaut, elle ferma les paupières, et tant pis si elle devait avoir l'air d'une idiote.

– Je resterai avec plaisir, murmura-t-elle. J'ai trop entendu parler de votre canard à l'orange pour passer mon tour. Mais vous devez me promettre de veiller soigneusement à ce que la lettre que je vais vous remettre pour ma famille leur parvienne sans délai !

– Marché conclu ! s'égaya Olivier, avant de se lever pour lui procurer plume et papier.

« En cours d'accomplissement de la Mission Licorne. Tout va bien. Rentrerai tard. Trouve-moi une excuse crédible à présenter à Maman ! »

Rose traça ces quelques mots d'une main frénétique, veillant à ce qu'Olivier ne puisse pas les lire. Puis, elle plia la feuille en quatre, et écrivit encore le prénom de sa sœur cadette en lettres majuscules.

– Edel ? lut Olivier. Qui est-ce exactement ? Vous l'avez appelée quand vous avez repris connaissance.

Rose se demanda un instant jusqu'à quel point elle devait lui révéler sa vie privée, mais finit par décider qu'elle ne prenait pas grands risques, en l'occurrence.

– Edelweiss, murmura-t-elle. Il s'agit de ma demi-sœur ; nous nous entendons relativement bien... parfois. Elle a seize ans, et c'est une enfant charmante, mais sans doute un peu trop énergique pour que je puisse la suivre dans toutes ses lubies. Il nous arrive cependant de remarquablement bien travailler ensemble lorsque nous visons un but commun.

À ces mots, un sourire carnassier étira les lèvres de Rose, qui songea audit but, qu'elle travaillait à atteindre en ce moment même.

– Avez-vous des frères et sœurs, Olivier ? s'enquit-elle ensuite.

Le jeune homme nia d'un ample signe de la tête.

– Ma mère est morte en couches, quelques heures après ma naissance, avoua-t-il tristement. Oh ! Non, ne vous méprenez pas ; je ne vous le dis pas pour m'attirer votre sympathie.

Rose, qui s'était efforcée d'adopter ce haïssable visage sympathisant que les circonstances exigeaient lors d'annonces aussi tragiques, exécuta une rapide marche arrière pour revenir à une expression plus perplexe.

– Je ne veux pas qu'on ait pitié de moi, lui expliqua Olivier en s'arrogeant une fois de plus le droit de prendre sa main dans la sienne, et de la serrer fort. Surtout pas vous ; je ne veux pas que vous me voyiez de la sorte.

– Je... hasarda Rose, troublée. Je comprends, vous savez. J'ai également perdu mon père lorsque je n'étais encore qu'une enfant.

En général, la jeune femme ne dévoilait pas ce détail de sa vie privée, car, comme Olivier, elle haïssait tous ces signes de sympathie que le commun des mortels estimait normaux, par souci des convenances. La pitié faisait bien plus de mal que l'indifférence.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant