Chat ! - 1

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Il y a une chose que j'ai toujours détestée : les chats. Ces petits êtres infâmes, perfides, manipulateurs, que tous considèrent comme mignons et adorables. De plus, on compare souvent ces chapardeurs à des majestueux voleurs. Là, c'est un crime : comment comparer cette bestiole à un professionnel comme moi ?!

Expert en vol depuis maintenant vingt-ans, je suis le meilleur sur le marché. Il vous manque un ingrédient rarissime pour une potion et votre rival refuse de vous le donner ? Vous cherchez un mystérieux parchemin gardé dans un coffre-fort blindé ? Vous voulez jouer un tour à une innocente fée ? Nathaniel est là, pour vous servir.

Certains diront que je suis vantard et que je me surestime. Moi, je considère juste avoir foi en mes extraordinaires capacités. Après tout, je ne me suis jamais fait pincer et je suis toujours en un seul morceau ! Enfin, presque.

Aujourd'hui, je m'attaque à un des plus gros challenges de ma carrière : voler un vieux grimoire dans l'antre d'une sorcière. Cela fait deux semaines que je me prépare, sans relâche. Alephandra, tel est son nom, est réputée pour être une des plus vicieuses enchanteresses du coin.

Je me faufile par le toit, après avoir sondé, à l'aide de mes divers bijoux électroniques, la maison. À travers divers tuyaux, j'atterris silencieusement dans la bibliothèque. Encombrée, comme tous les antres de sorciers. Je repère sans mal le tas de papiers que désire mon client : la couverture est rouge, et semble faite en écailles de dragons. Je le range dans ma poche sans fond et remets mes lunettes de plastique, m'apprêtant à repartir. Je me dissimule à l'aide d'un charme de poche et sors sans encombre. Mais, à l'extérieur de la porte de l'immense demeure, je tombe sur une grand-mère. Littéralement. Étant tout de même un minimum poli, je m'excuse.

— Pardonnez-moi ma Dame, je sors d'une mission un peu complexe et je n'ai pas fait attention à mon chemin.

— Moi, ça va. C'est à mon chat que vous devez des excuses ! s'exclame-t-elle.

Je remarque en effet une minuscule boule noire qui crache de douleur. Je grimace tandis que ses yeux fauves me lancent des éclairs et me hérissent le poil. Orgueilleux, je gonfle mon thorax. Dieux, que je hais ces bestioles ! Je tente de me retenir mais c'est trop dur.

— M'excuser auprès de cet énergumène, et puis quoi encore !

Les yeux violets de la vielle femme rougeoient, ses longs cheveux noirs semblent trembler. Je ressens son énergie et comprends que j'ai à faire à une sorcière.

— Que tu voles mon grimoire, je peux comprendre. Mais que tu manques de respect à mon chat, jamais ! Je te maudis, foi d'Aphelandra !

Je déglutis violement. Oh, mince. Je suis seulement humain, non-immunisé contre les sortilèges... Et je n'ai pas pensé à prendre de grandes protections, étant persuadé de ne pas croiser l'enchanteresse.

D'un coup, j'ai relativement chaud. Je voudrais m'enfuir, mais je suis comme figé sur place. Je me sens rétrécir, et atterrir à terre d'un mouvement brusque. Mes vêtements, beaucoup trop grands, tombent autour de moi. Tandis que je commence à râler, un son étrange sort de ma bouche. Je tente de me redresser mais mes mains et pieds restent cloués au sol. Je constate alors que mes membres sont entièrement recouverts d'une fourrure dorée hirsute, aussi sombre que ma couleur de peau habituelle. Et alors que j'entends la sorcière rire tout en claquant la porte chez elle, je me mets à hurler de terreur. Ou plutôt, à miauler. Car cette femme ignare vient de me transformer en créature du démon. En un infâme chat ! Ivre de rage, je tente de la poursuivre, mais m'écroule après deux pas.

— Bien fait pour ta gueule, connard ! Tu ne tiendras même pas un jour avant de crever écrasé !

Non mais je rêve ? C'est le matou de la marâtre qui m'apostrophe ainsi ?! Il se rapproche de moi, ses yeux verts luisants. Je peine à me redresser et je tends la chose qui me sert de queue, voulant l'impressionner. Il ricane.

— Comme tu me fais pitié, je vais te donner la solution pour vaincre la malédiction. Tu dois te faire embrasser par une âme pure.

— Ca ne devrait point être trop complexe vu mon charme naturel, je déclame.

Le matou lève les yeux au ciel.

— C'est bien pour ça que je t'aide, j'ai pas envie qu'un abruti pareil salisse notre réputation impeccable. Ciao le naze !

Il bondit et rejoint sa maitresse avant que je n'aie pu faire quoi que ce soit. Je miaule de frustration. C'est eux qui ruinent ma réputation de voleur avec leurs vulgaires tours de passe-passe ! Je vais lui faire payer à ce crétin, lorsque je serais redevenu humain. Et puis, comment un animal sensé être gracieux peut-il être aussi vulgaire ? Je n'ai jamais entendu autant d'atrocité en une phrase !

Je soupire, puis bouge une patte. Puis une deuxième. Les deux autres ne tardent pas à suivre, et au bout de quelques mètres, je finis par coordonner mes différents membres assez efficacement. Je découvre même que balancer ma queue me permet d'avoir un certain équilibre en plus. Puis je comprends pourquoi il m'était difficile d'avancer.

Même si je suis transformé en chat, ce n'est pas pour autant que j'ai récupéré mon pied droit. D'ordinaire, j'ai ma prothèse ultra perfectionné, achetée avec mon premier salaire de vol, mais elle est tombée en même temps que mes vêtements. Je fais quelques pas en arrière, et cache après une dizaine de minutes de bataille toutes mes affaires dans une des crevasses du mur de la place, grimoire compris. Cette vieille bique, trop contente de son sort, a oublié de le récupérer en partant. Je grimpe laborieusement sur ledit mur, puis sur le toit de la maison d'à côté, et contemple la ville en méditant.

Actuellement, je suis donc à poil, sans quatrième patte, incapable de rentrer dans mon logis habituel et sans nourriture. De plus, il faut au plus vite que je me dégotte une âme pure. Plusieurs options s'offrent à moi : j'ai secouru et cambriolé un certain nombre d'innocentes princesses par le passé. Oh, et puis, je vais tenter les princes aussi ! Parmi eux, le plus proche est la princesse Astoria, qui vit recluse dans les hauteurs de la tour d'astronomie qui surplombe la ville. Elle n'est qu'à un pâté de maisons, malgré mon handicap je devrais y être en une dizaine de minutes. Je me mets donc en route, tandis que le soleil se couche.

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Six Contes pour faire rêver un monstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant