Chat ! - 3

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Deux mois, deux fichus longs mois que je parcours tous les jours, cette fichue ville, dans tous les sens possibles et imaginables. J'ai été voir tous les princes et toutes les princesses de la contrée. Et l'organisme royal tombe bien bas dans mon estime... Entre meurtres, sexe et drogue (même pas de rock'n'roll), aucun parmi eux n'a d'âme pure. Et, par conscience professionnelle, je refuse de m'approcher des enfants. Manquerait plus qu'ils bavent dans ma fourrure.

Le pire, c'est que je commence à oublier mon humanité et me comporte comme un vrai chat. La semaine dernière, j'écrivais mon rapport journalier, comme j'en ai pris l'habitude afin que nous puissions comptabiliser quels rejetons royaux ont déjà été testés. C'est une chose longue et fastidieuse, car tenir un crayon avec mes deux pattes avant pour être stable me demande beaucoup de concentration. Et d'un coup, je ne me souvenais plus de comment tenir un stylo. Paniqué, j'ai couru voir Astoria qui m'a seulement gratifié d'un regard triste. Elle continue à prendre chaque soir cette chose qui lui enfume le cerveau et lui permet de communiquer avec moi, fort heureusement. Sans ça, je crois que je deviendrais fou.

Je me réveille, comme chaque matin, dans les bras de la princesse. Nous nous levons et mangeons ensembles, puis elle étudie tandis que je compile les registres royaux. J'ai même attaqué les ducs et duchesses, sans plus de résultats. Et aujourd'hui, je suis arrivé à la fin de tous les registres. J'ai envie de miauler de désespoir. Astoria me caresse distraitement, puis prend la parole.

— Nath, va donc te balader dans la ville basse pendant que je cherche une solution. Ça te changera les idées.

— D'accord.

Si j'ai appris une chose, c'est bien de lui vouer une confiance aveugle. Elle trouve toujours une solution. Après tout, c'est bien elle qui me nourrit et me loge depuis là. Je m'étire, et saute par la fenêtre. Cela fait un moment que je ne suis pas retourné en ville basse. Je l'évite autant que possible, car c'est là où j'habitais jusqu'alors, et tout me manque. Les odeurs du pain, du poulet en train de cuire. La joie de vivre de la fleuriste du coin de ma rue. Et surtout, la saleté, la vie. Tout chez ces bourges est bien trop aseptisé et vide, au final. Seul l'antre d'Astoria est à part. C'est pour ça qu'au fond, je m'y sens un peu chez moi.

Mes pattes me mènent toutes seules à ma boulangerie préférée que je reconnais directement à l'odeur. J'en salive d'avance. Je pense tenter de faire un peu de charme à la boulangère pour grappiller quelques morceaux de pain. Mais bien avant d'arriver à destination, je me fige. Devant moi se tient le fichu matou de la sorcière. Je gronde et baisse les oreilles.

— Bah alors pauvre tâche, t'es toujours un chat ? Malgré mes conseils t'es aussi peu malin que ce que je pensais.

Je feule et crache. Il ricane.

— Ou alors bien pire... Tu t'es habitué à ta nouvelle apparence et tu reconnais enfin notre forme supérieure !

Avant que je ne puisse me jeter sur lui pour lui donner la pâtée du siècle, ce rustre bondit si vite sur le toit du dessus que je ne peux pas le rattraper. Maintenant de mauvaise humeur, je me poste devant l'entrée de la boutique, attendant qu'un humain l'ouvre à ma place.

Mais, nom de... Fichtre. J'ai dit le mot « humain », comme si je n'en étais plus un. Des sueurs froides me remontent le long du dos. Il faut que je me trouve cette âme pure et vite ! Par chance, un jeune homme ouvre la porte et sort précipitamment. Surpris, je constate qu'il porte une tenue de boulanger, alors que je ne le connais pas du tout.

— ET NE REVIENS PLUS JAMAIS !

Une femme, ma boulangère habituelle, lui balance un sac, et lui claque la porte au nez. Sous le choc, je le fixe. Lui n'a pas l'air dans un meilleur état. Il récupère le sac, et s'effondre à côté de la vitrine. J'en profite pour me poser à côté de lui et l'observe. Plutôt grand, bien bâtit, muscles saillants. Ses courts cheveux rouges sont dressés sur sa tête, les pupilles noires de ses yeux en amande semblent paniquées. Ses lèvres fines sont crispées en un rictus. Plutôt à mon goût. Je me rapproche et me cale alors sur ses genoux. D'abord surpris, il ne dit rien, puis commence à me caresser.

— Si tu savais comme tu as de la chance d'être un chat. Être humain, c'est tellement galère.

Je ne peux m'empêcher de ricaner. Tu ne sais point ce que tu dis mon pote.

— Pourtant, je n'ai rien fais de grave. J'ai juste donné une miche brulée à une nana qui crevait de faim...

Je me redresse. Serait-ce possible ? Je le fixe de nouveau, les yeux ronds. On reste quelques dizaines de minutes comme ça, lui désespérant surement sur sa condition, moi me demandant si j'ai vraiment de la chance. Puis il soupire.

— Bon, il ne me reste plus qu'à trouver un nouveau job.

Il a alors un geste inexplicable. Il se penche vers moi, et m'embrasse sur le bout du nez.

— En tout cas, merci pour le réconfort, le chat.

Il amorce un mouvement pour se lever, mais est soudain cloué au sol par mon poids. Car, d'un coup, j'ai retrouvé forme humaine. Je regarde mes mains en jubilant, tandis qu'il m'observe, choqué.

— Ha ha, enfin ! Merci de m'avoir libéré de ma malédiction, mon cher ! Je suis Nathaniel, enchanté.

Pour faire bonne figure, je me relève et lui tends la main. Il me la serre sans grande conviction.

— Euh, bonjour, moi c'est Hector. Désolé, mais je vais te passer ma veste, te voir tout dévêtu, c'est vraiment gênant.

Effectivement, je n'avais pas remarqué ce petit détail. J'accepte gracieusement son étoffe, et me l'enroule sommairement autour de ma taille.

— Comment t'es-tu retrouvé dans cette drôle de euh, position ? questionne Hector.

Il rougit ? C'est trop mignon. Il bat inconsciemment de cils et j'ai l'impression qu'il se retient de baver devant mes magnifiques abdos en béton armés.

— Oh, ça. Accompagnes-moi, je dois juste faire un détour pour récupérer mes affaires, ensuite on pourra s'asseoir autour d'un café pour que je te raconte une étrange histoire... Et puis, il me semble que tu cherches un nouveau travail. Je peux t'aider, je te dois bien ça pour m'avoir libéré !

Je lui prends la main et l'entraine vers la petite ruelle où a commencé cette fichue malédiction. Si j'étais passé devant lui deux mois plus tôt, il ne m'aurait pas tapé dans l'œil. Mais, aujourd'hui, il a en quelque sorte sauvé ma vie. Alors, qui sait, moi, voleur chapardeur et aventureux, peut-être que je m'attacherais enfin à quelqu'un ? Ami ou amant, tant que cela est une nouvelle aventure, ce sera fort intéressant !


Six Contes pour faire rêver un monstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant