Je te ramènerais la lune - 1

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— Qu'on lui coupe la tête !

— NOOON !

Je porte mes mains à la bouche mais il est déjà trop tard. Je regarde l'amour de ma vie, ligotée sur l'estrade. Ses longs cheveux bruns sont sales et emmêlés, sa robe bleue déchirée. Même la suie qui macule sa peau noire et ses pieds nus n'enlève rien à sa beauté délicate. Les lèvres tremblantes, elle me supplie de ses prunelles dorées de ne pas intervenir. Je sais que c'est ce que j'aurais dû faire. La laisser se sacrifier pour moi, rester à l'abri parmi les membres de l'armée. C'est ce que nous avions convenu. Mais, rien ne s'est passé comme prévu et mes cordes vocales ce serment ont rompu.

Tous ont à présent les yeux tournés vers moi. Collègues guerrières, courtisans, petit peuple. Et la Reine, qui me fixe de ses iris écarlates. Je déglutis, prends sur moi pour ne pas frissonner. Depuis dix ans qu'elle est à la tête de notre pays, jamais personne ne lui a résisté. Car tous connaissent la sentence pour se racheter. Un son mélodieux aussi mélodieux que terrifiant sort de sa bouche.

— Capitaine Norton. Avancez donc, je vous prie.

Évidemment, elle sait qui je suis. Et le fait qu'Elora, mon amante, mon unique mie, est ma faiblesse. Car sa majesté connait tous ses généraux sans exception, afin de mieux pouvoir les manipuler. Qu'elle obtiendra tout de moi en la menaçant. Un sourire étire les lèvres de la souveraine tandis que mes compères s'écartent de moi et que je me poste devant elle. J'enlève mon casque, libérant mes courts cheveux roux. Je sens mes genoux mollir à travers l'armure.

La Reine est la grâce, la beauté, la force incarnée. Sa magnifique peau dorée lui donne un air frais. Ses cheveux blonds, constamment tressés, reposent sur son épaule droite. Elle est vêtue de vêtements blancs plus que moulants, assumant sans complexe ses formes, son éternelle épée fixée à sa ceinture. Car avant d'être Reine, elle était guerrière. Et c'est pour cela que nous la craignons toutes et tous. Elle est bien meilleure que chacun d'entre nous en combat singulier, et même à dix nous ne pourrions l'emporter.

Elle se lève et mon cœur se décroche. Avant, comme tous les soldats et soldates, je l'aimais. C'était elle qui occupait mes songes chaque nuit, était ma plus forte envie. Puis j'ai rencontré Elora, l'amour de ma vie. Malgré tout, une affection et un désir certains sont restés enfouis.

Elle s'approche de moi, et sa caresse sur ma joue me brule la peau. Je déglutis violement tandis qu'elle se penche en murmurant à mon oreille.

— Capitaine, tu veux que l'amour de ta vie survive malgré le délit qu'elle a commis ?

— Oui, chuchoté-je.

— Alors, tu sais ce que je veux.

Un silence bien plus pesant tombe sur l'assemblée. Dans le jardin, même les oiseaux semblent s'être arrêtés de chanter.

— Je le ferais. Je te ramènerais la lune.

Les conversations reprennent. Tous et toutes s'ahurissent de mon inconscience. Depuis des siècles, un fragment de lune est tombé sur notre terre. Plus précisément sur une petite île du nom de Sélène. La légende raconte qu'il recèle le pouvoir de vaincre le Grand Sommeil. Mais pour le récupérer, l'Immense Océan doit être traversé. Et dans mon peuple, personne n'est capable de nager, traumatisé car l'eau à trop longtemps été empoisonnée. De plus, suite à l'Apocalypse, les corps humains sont devenus plus lourds, bien trop denses. Nous ne pouvons flotter, et tombons immanquablement au fond des grandes étendues d'eaux pures ou salées.

Surprise mais satisfaite, elle se détache de moi.

— Une dernière volonté ?

— Je veux parler à ma femme, réponds-je sans hésitation aucune.

Elle hoche la tête et retourne s'asseoir sur son trône.

— Je vous laisse dix minutes dans les jardins. Ensuite, tu te mettras en chemin. Tu as jusqu'à la fin de la nuit blanche pour me ramener mon bien.

Je manque de m'effondrer. Chaque année pendant un bref moment le soleil disparait et seule la lune nous éclaire, développant une forte intensité lumineuse. Le ciel devient alors blanc pendant tout un jour et une nuit. Cela commence dans quelques heures, et fini donc demain. Je me contente d'hocher la tête. La Reine ouvre grand les bras et s'adresse à son peuple.

— Mes chers camarades, acclamez donc notre Capitaine Norton, qui nous ramènera la lune !

Six Contes pour faire rêver un monstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant