La porte - 3

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Il se pousse, et elle peut enfin l'observer à sa guise. D'environ trois mètres de haut, deux de large. Constituée de bois sombre, probablement ancien. Sur le quadrant du métal gris forgé qui resplendit de brillance. Elle ne distingue pas tous les petits détails. On dirait qu'ils changent. Tantôt flammes, tantôt oiseaux. Un instant bateau, celui d'après anges.

— Alors ?

— Répondez d'abord à ma question. C'est à mon tour d'avoir une réponse.

— Bien. Parce que tu ne réfléchis pas comme un simple humain.

— Vous êtes humain ?

— Cela n'a pas d'importance. Humain, statut génétique ou moral ? Humain, pour l'apparence ou l'âme ?

— Je ne vois pas comment je suis sensée le savoir.

Elle commence à saisir le sens de tout ça. Se sent apaisée par la conversation. Elle oublie le monde autour d'elle. La raison pour laquelle elle était sortie, ses souvenirs, ses envies. La curiosité, son défaut fatal, l'emporte sur le reste. Mais il est là. Il rôde, non loin. Le doute.

— Cette porte donne accès à un autre monde. L'empruntes-tu ?

— Tout dépend sur quel monde elle mène. Je n'ai plus douze ans, l'âge où le héros fonce dans le tas et ne se pose pas de questions sur la réalité de l'existence de la chose.

— Car tu es une héroïne ?

— Je suis la seule héroïne de ma propre vie. Cela ne veut pas pour autant dire que j'ai des pouvoirs magiques, que je ferais partie d'une armée qui renversera une dictature ou que j'ai des oreilles d'elfe. Si je passe cette porte, je devrais d'abord savoir si j'ai possibilité de revenir ici. Là-bas pourrait très bien m'attendre un futur sombre où s'est déclenché une guerre atomique, ou bien une planète remplie de croisements génétiques tel un piranha féroce des montagnes sur pattes de ouistiti, ou même un grand méchant sorcier qui voudrait me réduire en esclavage voir me désintégrer car je ne corresponds pas à ses habitants standards car je risque de remettre en question sa souveraineté. Ou, tout simplement, peut être le vide, la mort. Que de théories fascinantes.

— Je ne sais pas si tu reviendras un jour ici, et ne peux te dire ce qu'il y a derrière cette porte. Tu as maintenant deux choix. Regrets ou remords.

— Non, j'en ai trois.

— Trois ?

— Oui. Choix numéro un. Tout ceci est une vaste blague pour une émission de caméra cachée, ou alors une projection de mon esprit surmené par la perspective des examens qui se rapprochent. Choix deux. Remords car je ne pousserais pas cette porte, continuerais ma vie normale, ce sentiment emprisonnant lentement mon existence par l'ignorance de ce qui se trouve derrière et me rendra probablement folle. Choix trois. Regrets d'y être entrée et d'avoir laissé mon ancienne vie. Ou alors regret de ne pas être partie plus tôt. Le simple fait de vous avoir vu ne me permet plus de continuer normalement. J'ai déjà le poids de me décision sur les épaules.

— Le simple fait que tu doutes prouve que je suis réel. Un personnage fictif de doute pas de sa propre existence.

— Les auteurs sont retors et les rêves imaginatifs. Tout est possible.

— Donc rien n'est impossible, je suis bien devant toi. Cette porte aussi, et tu connais déjà ton choix.

— Effectivement. Même si au final, je n'avais déjà plus le choix. Vous avez dit "si tu reviendras". Vous considérez donc déjà que j'ai choisi de franchir cette porte depuis le début. Peut-être l'avez-vous même décidé avant cette rencontre. Quoi qu'il arrive, comme ceci n'est pas un rêve, la décision était déjà prise. Je ne pouvais pas lutter contre et le choix ne se posait pas. On dit que lorsque le choix ne se pose pas, c'est le bon.

Il ne répond rien, car il n'y a rien à dire.

Elle prend une inspiration. Le choix ne se pose pas. Elle part. Le sens commun, la raison, lui dit que tout ceci et irréel et qu'elle doit vite s'en aller. Mais, elle pousse la porte et fait voler la logique en éclats.

Six Contes pour faire rêver un monstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant