Six Contes pour faire rêver un monstre

Je te ramènerais la lune - 3

Quelques temps plus tard encore, l'océan. Je l'entends et le sens avant de l'apercevoir. Odeur iodée, bruits de ressac longtemps oublié. De l'eau à perte de vue. Les poils se hérissent sur mes bras et j'éclate de rire. Une mouette passe loin au-dessus de moi, me narguant par sa vitalité éclatante. J'enlève mon casque puis le pose à terre afin de sentir le vent dans mes cheveux. Je tourne la tête, aperçois l'île Sélène non loin et grimace.

Il n'est plus le temps à la joie. Elora m'attend. Je fais le tour de la plage puis repère un amas de bois. J'ôte mon armure ainsi que ma tunique et ne garde que mes sous-vêtements, cache ensuite mes affaires sous les planches. Heureusement, l'air est chaud et il y a peu de vent. Je garde malgré tout un petit sac imperméable que j'accroche en bandoulière afin d'y placer la lune. Je m'étire, fais jouer mes muscles.

J'avance sur la digue qui me rapproche de l'île puis je plonge. Sentir l'eau fraîche sur ma peau nue reste un plaisir que je n'ai plus connu depuis mon enfance. Il me faut alors une heure pour atteindre l'île. Je m'écroule sur la plage en soufflant. Le parcours n'était pas trop éreintant, mais je dois m'économiser pour le retour. Je détaille l'environnement dans lequel je me retrouve.

Ici, tout fourmille de vie. D'immenses palmiers semblent monter jusqu'au ciel, une multitude de bruits et de cris sortent de cette petite jungle. Après un temps de repos, je me mets en route et m'y enfonce. Je regrette de ne pas avoir pu prendre mes bottes qui aurait été plus confortables que marcher pieds nus dans la terre. La basse température soudaine fait frissonner mon corps encore humide. Puis j'arrive au cœur de l'île et ma mâchoire se décroche. Je me retrouve face à un énorme cratère. En son centre, une pierre qui n'a pas l'air plus grosse que mon poing, ainsi qu'une silhouette ayant forme humaine. Oubliant ma fatigue, je m'y précipite. La vague silhouette bouge. Je me pose à ses côtés, le regard emplis de curiosité. Il s'agit d'un robot. Ma mère m'a raconté il y a longtemps que les anciens humains avaient créé des machines à leur image. Mais que toutes ont péris lors de l'Apocalypse qui a amorcé les mutations, et rayé les humains pures souches de la planète. L'androïde cligne des yeux. Seule la moitié supérieure de son corps est encore présente, une multitude de fils électriques dispersés au bout. Il me fixe puis imite un simulacre de sourire.

— Tu es un être humain. Un vrai.

Son articulation est douloureuse, sa voix éraillée. Je grimace. Le voilà, mon secret. Je n'ai pas subi les mutations. C'est ce qui me permet de nager. Et la Reine, comme tous les autres, voue une haine farouche aux vrais humains censés avoir disparu. Alors, si elle apprend ce que je suis...

— Oui, murmuré-je.

— Je suis là depuis si longtemps. Je faisais mon travail sereinement, quand cette chose m'a percuté. M'a éparpillé en morceaux. J'aurais voulu m'éteindre, mais je fonctionne avec le soleil. Et j'attends.

Je regarde cet alter égo mécanique, les yeux brillants. Il est las, je le sens.

— Fais-moi mourir. S'il te plait.

Je chasse une larme et me penche vers lui. Il lève difficilement son bras d'où pendent des bouts de peau et des câbles. Je récupère non loin une grosse pierre, puis l'écrase sans plus de cérémonie sur son crâne. Il émet un bruit strident, puis plus rien. Sous le coup de l'émotion, une larme roule sur ma joue. Je lève la tête. Là-haut, le ciel est toujours aussi blanc, mais je dois tout de même me dépêcher. Je n'ai aucune notion du temps qui passe. Je dévale la pente en tremblant et récupère la lune. Cette dernière n'est qu'un vulgaire caillou plein de creux qui semble éteint. Je le tourne dans tous les sens et perçois un éclat fugitif. Là, dans un de ses coins, un cristal brillant est incrusté, formant un croissant sur la roche. Je remonte mécaniquement du cratère, enroule ma trouvaille dans une feuille de palmier et la range délicatement dans ma sacoche. Je m'élance alors, direction le chemin du retour.