Six Contes pour faire rêver un monstre

Mortelle Malédiction - 3

Au mois de juillet, dans un village de bord de mer.

Éléanore se réveilla en sursaut, comme chaque nuit depuis plusieurs mois. Sans arrêt, le même cauchemar apparaissait dès ses yeux fermés.

Les nouvelles étaient vite arrivées. Trois jeunes avaient été retrouvés sans vie, alors que les Quatre étaient censés avoir enfermé la Mort. De plus, il semblait que ces trois enfants étaient tous les derniers descendants des trois Mages des Quatre Grands. Éléanore, elle, avait tout vu dans ses rêves. Contrairement aux autres, sa mère, la seule femme des Quatre, l'avait prévenue, lui léguant son talisman et ses pouvoirs. Et, malgré sa longévité exceptionnelle, cette dernière s'était éteinte quelques années plus tôt, emportant le père de la jeune femme avec elle.

Eleanore allait avoir seize ans aujourd'hui, l'âge de la majorité. La date fatidique était arrivée. Soit elle mourrait, soit elle survivrait. Elle sortit de la maison où elle vivait seule, et partit contempler les vagues, rejoignant une silhouette assise sur le sable. Les cheveux bruns mi-longs du jeune homme flottaient en mèche éparses à cause du vent, qu'elle distinguait de mieux en mieux en s'approchant. Son petit nez retroussé se plissa lorsqu'il fronça les sourcils, une lueur triste dans son regard azuré. Le cœur de la jeune fille bondit lorsqu'elle s'assit à ses côtés et que leurs regards se croisèrent. Tobias était son meilleur et seul ami, la seule personne qui lui restait en ce monde. L'amour de sa vie, bien qu'elle ne lui ait jamais dit. Il la prit dans ses bras sans dire un mot. Il savait tout de la malédiction qui entourait sa mie. Une larme roula sur la joue d'Éléanore.

L'Orgueil, l'Avarice et la Tentation s'étaient réunis à l'endroit où était enfermée la Mort. L'heure du sacrifice ultime approchait à grands pas. Les trois disciples de la Mort avaient exterminé les trois premiers, dont l'âme était corrompue. Ne restait plus que la seule âme pure, qui nécessitait d'être souillée à jamais.

Éléanore courait. Ils l'avaient retrouvée. Ils avaient enlevé Tobias, sa seule faiblesse. La seule personne qui lui restait. Elle serrait le talisman qu'elle gardait toujours autour de son cou. Éléanore savait où ils l'avaient emmené. Là où la Mort était enfermée. Elle s'arrêta, épuisée. Elle était arrivée. Etendu par terre, son amour semblait se débattre contre un ennemi invisible. Affolée, Éléanore se jeta à côté de lui. Il murmura quelques mots inaudibles tandis qu'elle se penchait vers lui. De secondes en secondes, elle voyait les forces du jeune homme décroitre. Elle repoussa d'un geste rageur les longs cheveux roux qui lui bouchaient la vue, et essuya ses larmes.

— C'est trop tard. Ils m'ont possédé. Tous. Je ne pourrais bientôt plus lutter. J'ai tellement mal.... Tu dois me tuer, avant qu'ils ne prennent le contrôle, articula Tobias.

La jeune fille hurla. La Malédiction lui avait tout prit. Sa famille, sa vie, et maintenant son ami. Les yeux de Tobias devinrent Noirs, Gris et Rouges tandis que les Trois Fléaux prenaient possession de son corps et de son âme. Il avança, un rictus sur le visage. Éléanore n'eût plus le choix. Elle sortit la dague qu'elle gardait cachée sur elle en permanence. Tobias lui sauta dessus, et elle lui enfonça son arme en plein cœur, en ayant l'impression d'arracher le sien. De la brume rouge, noire et grise s'échappa du jeune homme. Les trois fléaux avaient fini leur mission. Le sang de Tobias se répandit sur l'autel sur lequel il bascula ainsi que sur les mains de la jeune fille. Minuit sonnèrent au loin.

Éléanore avait seize ans. Elle venait de tuer son meilleur ami violement. Tandis que des larmes silencieuses coulaient abondamment de ses joues, la Mort se libéra de sa prison sous la forme d'une brume blanche.

— Ma malédiction s'est réalisée, dit-elle sauvagement, et toi, petite âme pure, tu as été souillée... — — Tuez-moi, dit Éléanore entre deux sanglots, je n'ai plus de raison de vivre désormais.

— Mais non voyons, ce n'est point ce que j'avais prévu... Tu seras mon corps, et c'est grâce à toi que je donnerais la mort...

La Mort se tortilla et prit possession du corps d'Éléanore, enfermant la consicence de celle-ci dans un coin de son esprit. Elle pouvait toujours voir, entendre et ressentir, mais n'avait plus aucune possibilité d'interagir. La Mort ricana. Elle sortit sa faux, et accompagnée de l'Orgueil, l'Avarice et la Tentation, retourna à sa mission sacrée, tourmentant de nouveau les misérables humains qui un jour avaient osé la défier.