03 : Le mot enby

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03 : Le mot enby

Au fil des semaines, les rapports quotidiens des deux chefs d'équipe mirent en relief, sans confusion possible, que toute la verve du client était dirigée contre Force. Personnellement.

Son comportement avec les autres agents n'avait rien à voir. Satine elle-même, à part quelques tentatives de séduction qu'elle avait élégamment essuyées, n'avait à se plaindre de rien de particulier. Curtis avait une vie nocturne plutôt décousue. Il sortait énormément, et ramenait pratiquement chaque soir une ou plusieurs personnes. Parfois au contraire, si possible à partir de 22h pour rester libre de rendre la vie de Force impossible, il organisait les soirées chez lui, et ce genre de chose pouvait se terminer en orgie dans plus ou moins n'importe quelle pièce. Satine, en quelques semaines seulement, avait été témoin de bien différents... thèmes.
Mais parfois, également, Curtis veillait tard, ou se relevait dans la nuit, frappé par une foudre inspiratrice qui le gardait penché sur des post-it à son bureau, ou installé à sa table à dessin, à gribouiller des choses. C'était apparemment pour sa marque, il avait plusieurs gammes de préservatifs, sextoys et sous-vêtements aux designs pensés pour plusieurs genres. Le slogan du site disait Safe Sex is the Best.

En entendant ça Force n'eut, curieusement, qu'un très faible engouement.

Mais, d'après Satine, quelque chose se préparait par rapport à tout ça, Curtis passait de plus en plus de soirs à travailler, et peut-être que bientôt il serait trop occupé le jour pour continuer son petit jeu avec Force. C'était tout ce que celui-ci espérait. Faire son job, et garder cet abruti à l'abris.

Oh, il avait eu son lot d'abrutis. Généralement, des parents inquiets, souvent absents, payaient Pollux dans l'espoir que quelqu'un s'occupe de leurs enfants. Des enfants qui, trouvant enfin une vague figure d'autorité à défier, en faisaient baver aux agents. Les fuites et fugues étaient le plus commun, et les fausses demandes de rançon, pas aussi rare qu'on l'aurait souhaité.

Mais il y avaient aussi ceux qui signaient chez Pollux pour eux-mêmes, et qui ensuite refusaient d'être protégés. Mais ne voulaient pas non plus mettre fin au contrat, ni le modifier. Ceux-là payaient-ils peut-être pour le conflit.

Force n'était pas là pour comprendre les motifs de ces gens mais pour les protéger, avec ou sans leur accord. Il avait d'abord pensé que Curtis était l'une de ces personnes incompréhensibles. Mais clairement, le jeune homme avait un problème avec lui. Lui spécifiquement.

Aujourd'hui, les prédictions de Satine semblaient enfin se réaliser. Le client avait jusque là été trop occupé par son travail, quelqu'il soit, pour recommencer ces quatre cent coups.

Force, depuis le petit fauteuil contre le pilier central, jeta à Curtis un rapide regard. Il était assis à son bureau, son assistante debout à côté de lui, en train de lui montrer quelque chose sur l'écran en verre. C'était l'un des plus récents modèles, le verre était plus fin que du double vitrage, et vu de dos, on ne voyait qu'un flou vaguement coloré. C'était les fameux écrans anti-espionnage.

— Le marketing a fait des recherches de fond, expliquait l'assistante, et le terme n'a pas d'historique péjoratif.

Jolt observa l'écran. Il devait s'agir de courbes démographiques et d'études de marché. Pour un peu il aurait eu l'air adulte.

— Je sens venir un mais, Olette, répondit-il.

Mais, je pense quand même qu'utiliser Non-Binaire serait plus sûr, le terme est un peu plus connu du grand public.

Tous les deux échangèrent un long regard. Jolt plissa les yeux, comme mécontent de la réponse de son assistante, et pourtant celle-ci ne sembla pas inquiétée.

RADICAL : T1 「MxM」Where stories live. Discover now