23 : Dans toutes les pièces

202 29 25
                                    


JE POSTE SUPER VITTE ET JE PARS BISOUS
(Dites-moi ce que vous en penseeeeeeez)


***


23 : Dans toutes les pièces

Les nuits qui suivirent, Force observa son téléphone, le numéro de Jolt en tête. Comme s'il pouvait le sentir, Jolt fixait lui aussi son écran, et l'heure, sans pouvoir la retenir, en attendant la moindre vibration, le moindre appel. Force ne faisait pas de cauchemar, ou peut-être qu'il les oubliait au réveil, et Jolt non plus, car il avait cessé de dormir. L'un comme l'autre, ils se rendaient compte de quelque chose : ça n'allait pas. Force n'en parla pas à Satine, et Jolt n'en parla pas à Pretty. C'était entre eux, et ils auraient dû en parler entre eux, mais c'était difficile quand l'un d'eux ne voulait pas écouter et que l'autre, même avide d'attention, ne savait pas quoi dire. Cette situation n'était pas tenable, elle ne tiendrait pas. Ils étaient en équilibre sur le fil d'un rasoir et tout allait basculer au premier coup de vent. Mais s'ils tombaient mal, ils se trancheraient en deux.


Force aurait pu survivre. Inconsciemment, il attendait seulement d'être atrocement blessé pour se soigner ensuite – mal, comme il l'avait toujours fait.

Mais l'inconscient de Jolt travaillait à toute allure pour trouver une solution. Une stabilisation. Il n'en pouvait plus, de ça. Tous ces mécanismes de soulagement bancals qu'il avait le poussaient à chercher la confrontation. Même ça, ce serait meilleur que l'indifférence totale.


Ainsi, après à peine quelques jours de tout ça, Jolt, pour l'une des premières pause déjeuner de Force, le suivit dans la cuisine, et ferma la porte après lui.


— Bonjour, fit-il d'un ton qui annonçai une guerre.


Force suspendit tout mouvement, la fourchette juste devant la bouche. Il hésita quelques secondes.


— Bonjour, Monsieur, répondit-il finalement en reposant sa fourchette dans sa salade.


Il avait bien compris qu'il n'allait pas pouvoir manger.


— J'ai du mal à vous voir, ces derniers temps, reprit le client.

— Vous aviez besoin de quelque chose de particulier ?


Ils étaient séparés par deux pas environ. D'un mouvement désabusé, Force posa sa salade sur le comptoir contre lequel il était appuyé. Et ce seul geste, sans raison, fit bouillir le sang de Jolt. Cette décontraction nonchalante, ces petits signes d'agacement de Force en sa présence, il n'en pouvait plus. Ce fut la goute d'eau.

Le manque de sommeil avait jeté ses nerfs à fleur de peau, et tout le reste était comme une petite aiguille qui s'y enfonçait. Tout le monde jugeait sa vie, tout le monde le dénigrait, et il devait sourire, tout le monde l'agressait et il devait rester calme, de bonne disposition, sans quoi on le traitait de diva ou de sale petit garçon trop gâté. C'en était trop. C'en était trop depuis longtemps mais cette fois, ce jour là, dans cette cuisine, Jolt craquait.


— On se connait, pas vrai ? cracha-t-il presque comme une accusation.


Force se redressa calmement. Il avait cette façon d'incliner la tête légèrement en arrière quand il regardait Jolt, plus grand que lui. L'espace d'une fraction de seconde, si brièvement qu'on l'aurait raté d'un battement de cils, il eut un sourire comme il n'en avait jamais eu avant. Un petit rictus provocateur. Jolt ne le rata pas.


— C'est ta meilleur ligne de drague ?


Et la seconde d'après, son visage tenta de redevenir froidement imperturbable, mais il resta quelque chose d'atrocement séditieux dans ses yeux. Même dans la forme de sa bouche. Il essayait de cacher ça, mais ça débordait de lui. Quelque chose de sauvage. Ce devait être effrayant à voir s'il se donnait autant de mal. Jolt voulait cet effroi.

Ils se heurtèrent du regard plusieurs longues dizaines de secondes. Force le bouffait des yeux. Ce n'était plus du tout professionnel. Il aurait pu être cette personne qui vous ordonnait de vous déshabiller, juste pour vous observer sous les moindres coutures, souffler sur votre peau nue, et caresser tout votre corps sans un seul contact. Juste pour vous faire frissonner, et puis quitter la pièce.

Jolt fit les deux pas qui les séparaient. Force le laissa venir avec une satisfaction qu'il cacha bien mal. Il n'allait pas quitter cette pièce-ci.

Jolt s'empara de sa nuque et l'obligea à relever la tête ; il l'embrassa violemment. Ce fut une morsure. Force accusa l'impact d'un soupir juste un peu trop suave, et ferma avidement ses mains sur le visage de Jolt. Ce ne fut pas du tout à sens unique. Et ce ne fut pas chaste. Force en voulait aussi. Pas comme Jolt – pas de la luxure – mais probablement avec autant d'intensité, tellement qu'il avait du mal à se contenir. Jolt frissonna. C'était ces mêmes mains, sur ses joues, qui avaient écrasé un crâne à l'en briser en miettes. On le sentait. Dans la façon qu'il avait de refermer sa prise, de presser ses doigts, on sentait qu'on ne pouvait pas lui échapper. Et que pourtant, il était délicat. Cette bouche sur celle de Jolt qui lui rendait coup pour coup, aussi intoxicante qu'elle puisse être, gardait une infinie douceur dans toute la violence qu'elle déchainait. Jolt ne fut pas aussi précautionneux, il n'en avait pas besoin. Il fut seulement passionné et violent. Ce fut tellement bon...


Jusqu'à ce que Force le repousse. D'une main en haut du torse, il le jeta en arrière, Jolt recula malgré lui de plusieurs pas. Plus de deux.

Non...

Force s'essuya la bouche du dos de la main, confus, encore un peu à bout de souffle. Cette façon dont ses yeux cherchaient une réponse, au moins une explication, fut rageante. Il ramenait sa sauvagerie à l'intérieur, en cage. Sa chemise était encore embrouillée du moment ou Jolt l'avait saisie par le col.

Force releva un regard noir sur lui.


— C'est n'est pas...


Il chercha ses mots, hagard. C'était comme une toute autre personne. Mais Jolt savait laquelle était la vraie. Il espérait savoir.


— Vous ne pouvez pas faire ça, Monsieur.

— Oh non ?


La voix de Jolt avait ces petits accents rauques d'excitation avec lesquels il était bien familier. Il serrait les dents si fort qu'on pouvait voir sa mâchoire rouler sous ses joues.


— ...c'est, continua Force... incorrect. Au travail.


Oh, s'il en voulait, il allait s'en prendre, de l'incorrect.


— C'est du harcèlement sexuel au travail.

— Si c'est ça que tu veux, tu peux demander. Je peux te le faire dans toutes les pièces.


Jolt aurait pu jouer à tous les jeux. Force n'aurait eu qu'à dire lequel, qu'à exposer ses plus spécifiques désirs, et Jolt les lui aurait offert sur un plateau d'argent. Il l'aurait complètement retourné. Si Force était confus au point de chercher ses mots après un seul baiser, Jolt lui aurait fait oublié où il habitait. Et même jusqu'à son nom.

C'était la plus sincère des propositions. Quoique Force aime, quoiqu'il veuille, Jolt le lui offrait. Dans toutes les pièces.


Le chef de sécurité ne répondit pas. Toujours un peu perdu, il reboutonna son col de chemise jusqu'en haut, réajusta sa cravate. Il avait l'air sur le point de dire quelque chose, sans parvenir à se décider. Il secoua seulement la tête, yeux baissés, moitié ici moitié pensif.

Il se dirigea vers la porte, et Jolt chercha à lui bloquer de passage, mais Force l'écarta du sien en le poussant simplement sur le côté, sans le moindre effort. Il sortit. Il s'échappa.

Putain de merde... Bordel. Jolt alla s'adosser là ou se trouvait Force quelques secondes plus tôt. Il passa les doigts sur sa bouche. Que fallait-il ? Que devait-il faire de plus ? Qu'es-ce qui était en train de se passer ? Il percevait tous les signes et leurs contraires. Est-ce que Force le voulait, ou non ? Ça le rendait fou. Ça venait s'ajouter à la liste des choses qui tourmentait ses nuits insomniaques.

Il vit la salade sur le comptoir, Force ne l'avait pas récupérée en fuyant comme un rat d'un navire.

Jolt la balaya au sol d'un seul mouvement du bras.


***


Alors alors alors ?

RADICAL : T1 「MxM」Où les histoires vivent. Découvrez maintenant