Chapitre 54 - L'ange déchu

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Cela faisait dix minutes qu'Ange était assis dans cette salle d'attente. Fabrice, à ses côtés, pianotait sur son portable et souriait. Visiblement, le châtain n'était pas dans le même état d'esprit que le blond qui avait été traîné dans cette agence d'intérim par la peau du cul, ou presque.

Fab avait été heureux d'annoncer à Claire, deux semaines plus tôt, qu'il avait été sélectionné pour être hôte d'accueil d'opéra. Lorsqu'il arrivait au boulot, vêtu de son costard noir, le petit nœud de papillon autour du cou, il se sentait tellement dans son élément qu'il en faisait des tonnes. D'ailleurs, aujourd'hui aussi il portait sa tenue.

— C'est pas parce que t'es un gigolo pour tous ces riches qui vont à l'opéra que t'es obligé de porter ton costard à chaque fois que tu sors.

Fabrice ignora la réplique piquante d'Ange et continua à pianoter sur son portable. Claire lui disait qu'elle n'avait pas envie de reprendre le boulot, sa pause arrivant à sa fin.

D'après les dires de son amie, Luce avait posé sa démission dans le magasin d'instruments et comptait devenir masseuse en bien-être. Son entrée en école était prévue mi-décembre. En voilà une qui ne se laissait pas ensevelir par des pensées sombres ! En voilà une qui ne finissait pas comme Ange qui devenait esclave de ses addictions.

— Ils croient que je compte passer ma vie dans leur putain de salle d'attente ou quoi ? rouspéta Ange.

Tout en jetant un coup d'œil à son ami, Fabrice songea que Luce et Ange avaient inversé les rôles. Enfin, pas complètement puisque la brune ne partait pas tête baissée vers des défis pourris. Mais le blond lui, avait visiblement pris goût pour les répliques cinglantes de sa pote de vacances.

— Derrière un écran pour savoir si tu as bien parié ou ici, ça revient au même. Tu attends quelque chose. Sauf qu'ici, tu attends peut-être un boulot, contrairement à tes salles de jeux où tu attends juste ta défaite, souffla doucement Fab pour ne pas être entendu par quelqu'un d'autre que le concerné.

Le regard noir d'Ange donna envie à Fabrice d'arrêter son discours. Mais le jeune homme se força à affronter les prunelles noires de colère de son ami.

— Tu sais, j'en ai marre de devoir jouer au père qui doit sermonner son fils à propos de ses abus. J'en ai marre de devoir te dire que tu déconnes. J'en ai marre de te voir sombrer. J'en ai marre de te devoir te ramasser. J'en ai marre de financer ta descente aux enfers Ange. Tu sais que parfois, les potes c'est aussi fait pour dire ce qui fait mal. Eh bien là, c'est mon rôle. Tu fais n'importe quoi depuis un certain temps. Et je ne veux pas continuer à voir mon meilleur pote tomber.

— Ah ouais ? Mais je ne t'ai jamais demandé de te prendre pour mon père. De toute façon, tu n'y arriveras jamais. Tu n'as pas sa tête de con, ni même son ton de père qui n'est pas en colère d'avoir une fille sourde battue par un connard sans fin, mais a honte d'un fils qui a fait de la taule pour avoir défendue sa sœur.

Parce qu'Ange venait de se lever, Fabrice songea à faire de même, pour au moins empêcher son ami de fuir son entretien d'inscription. Seulement il réalisa que le blond ne comptait pas partir mais plutôt déballer tout ce qu'il avait sur le cœur.

— Désolé que tu ne sois pas capable de comprendre que j'ai envie de fermer les yeux et oublier que mon père est un con. Désolé que tu ne sois pas capable de comprendre que j'ai le cœur en vrac et que malgré mes précédents efforts, son trou béant reste intact. Désolé que tu ne sois pas capable de comprendre que dans ces salles de jeux au moins, je peux espérer gagner pour une fois.

Si certains auraient honte de leur pote qui se rendait en spectacle devant deux candidats à l'intérim, Fabrice eut plutôt pitié de son ami.

— Je sais que c'est pas facile ce que tu vis, mais c'est pas le moment d'abandonner.

Baisers salés (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant