Un étranger argenté

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         Cela faisait une journée entière que Tarek arpentait les rues de Maskitaj à la recherche d'indices. Il sillonnait les ruelles obscures, camouflé sous une large cape sombre, cachant son identité aux regards trop curieux.

        Aussitôt après le départ de Leeroy et Aïkida, le jeune homme était allé trouver Suron pour qu'il lui apprenne les supposées techniques de combats elfiques. Il avait été surpris par l'agilité du maître d'arme malgré son âge mûr, et avait rapidement appris les combinaisons qui se différenciaient légèrement de celles des Combattants. Au bout d'une journée d'entraînement intensif, Tarek avait confié ses soldats à Suron. Il lui avait fait promettre une nouvelle fois qu'il ne le rejoindrait pas, et était parti avec Brusanth vers la ville ennemie.

        La veille au soir, son dragon et lui s'étaient posés sur une colline non loin de la Capitale Noire, assez éloignée néanmoins pour que personne ne se doute de la présence du dragon rouge. Ce dernier restait sur place, vaquant à ses occupations, notamment la chasse, mais demeurait assez proche pour qu'en cas de soucis, il puisse intervenir rapidement et garder un contact constant avec son dragonnier. Ce dernier était ensuite parti à pied jusqu'à la ville et avait réussi à s'infiltrer parmi un groupe de marchands pour passer les remparts fortifiés de Maskitaj.

        Aussitôt qu'il avait franchi les murs de pierre, une violente migraine l'avait assommé, l'obligeant à réduire ses mouvements. La Magie Noire était présente partout et Tarek souffrait de sa concentration à résister. Chaque minute, chaque seconde, il se devait de tenir tête à cette magie malsaine.

        Tenir tête à ses gènes.

        Sa progression à travers les pavés de la ville lui était pénible. Il avançait, les poings serrés, transpirant de douleur tant ses veines acides lui brûlaient le corps. Sa vue vacillait de temps à autre, et il n'avait qu'une crainte : que quelqu'un aperçoive ses yeux argentés.

        Dans les débuts, quand il avait utilisé trop de magie, seul son œil gauche virait au miroir, mais plus le temps passait, plus ce mal s'était répandu à ses deux yeux. Dorénavant, la seule présence de Magie Noire risquait de faire vaciller ses iris d'une couleur beaucoup trop argentée pour paraître naturelle.

        Plusieurs fois il avait dut s'arrêter en plein milieu des rues, se tenant fermement la poitrine sous l'emprise de la douleur et grimaçant horriblement. Il titubait sous les regards intrigués des passants, et s'empressait de reprendre une allure normale, en serrant les dents. Chaque fois qu'une crise devenait trop forte, une sensation douce et glaciale se faisait ressentir sur son bras gauche. La gourmette d'Aïkida l'aidait à tenir le coup et lui redonnait courage. Il se rappelait pourquoi il était là ; pour une femme et une enfant, deux innocentes qui allaient peut-être mourir sous les mains du Masque Noir.

        Cela faisait plusieurs heures que Tarek arpentait les rues et écoutait discrètement les conversations des marchands et des soldats qui patrouillaient les rues. Il avait failli se faire prendre deux fois, mais son dragon l'aidait en lui indiquant à distance des chemins de fuites.

        Le jeune brun repéra un groupe de vieux marchands, discutant des ragots autour d'une chope. Ils étaient accoudés aux poutres de l'auberge et chuchotaient en regardant autour d'eux, inquiets d'être surpris.

        Tarek passa à côté d'eux, l'air de rien et tendit l'oreille.

— ... changement de programme, les soldats commencent...

— ... bataille pour écraser les...

— Le Masque Noir a prévenu...

Tarek se figea. Trop de coïncidences réunies pour que ça en soit réellement une.

        Le jeune dragonnier entra dans l'auberge et commanda lui aussi une cervoise. Il paya le tavernier avec le peu d'argent qu'il avait emmené, et ressortit.

        Tarek se dirigea vers les vieux marchands qui avaient l'air d'avoir changé de sujet. Il s'accouda à un rebord de fenêtre, toujours caché par sa cape. Les quatre hommes remarquèrent immédiatement cet inconnu encapuchonné et l'un d'eux, le plus costaud, s'adressa à lui :

— Eh là mon ami ! Pourquoi tu te caches comme ça ? On dirait que tu as commis un crime, ou que tu vas en commettre un ! Enlève-moi cette cape et viens te joindre à nous !

Le jeune dragonnier s'approcha lentement du vieil homme, sous les regards de ses compagnons, et déclara d'une voix basse et mystérieuse :

— Je vous ai entendu parler du Masque Noir.

Les quatre hommes se figèrent. Le vieux marchand fronça les sourcils tandis que les trois autres posèrent leur chope sur une table de bois qui traînait non loin. Les yeux plissés, suspicieux, le vieil homme demanda à voix basse en tirant sur le col noir de la cape de Tarek, ce mouvement laissant apparaître la mâchoire de ce dernier, puissante et légèrement barbue.

— Que veux-tu étranger ?

Le ton menaçant du vieux commerçant fit sourire Tarek, ce qui mit les quatre hommes mal à l'aise.

— Je ne veux que des renseignements, répondit le jeune brun.

Le marchand relâcha le tissu noir et se gratta la tête, dépourvue de cheveux, tandis qu'il semblait embêté.

— Je ne parlerai pas.

Le sourire de Tarek se fit plus malsain, et il approcha sa bouche fourbe de l'oreille tremblante du vieil homme :

— Ce n'était pas une question. Je sais que vous parliez du Masque Noir. N'est-ce pas interdit ? Tu ne voudrais pas que toi et tes amis, vous vous retrouviez face à la puissante Magie Noire, n'est-ce pas ?

En prononçant ces mots, la vision de Tarek vacilla un court instant tandis qu'un éclair argenté traversa ses iris, sans que personne ne puisse le voir.

        Le commerçant déglutit face à cette menace tandis que des gouttes de sueur perlaient sur son front huileux. Les trois autres hommes se dandinaient sur place, mal à l'aise et ne sachant pas comment réagir, eux aussi en sueur face à cet inconnu menaçant.

— Que veux-tu savoir ? demanda finalement le vieux marchand.

Tarek se recula légèrement pour faire face à l'homme qui ne pouvait voir son visage.

— Vous parliez d'un changement de programme, quel est-il ?

Son interlocuteur fronça les sourcils avant de prendre une gorgée, d'une main tremblante. La voix basse, il répondit, méfiant :

— Tout le monde le sait ici. Le Masque Noir va avancer les combats contre les dragonniers. Dans deux jours, il élèvera son armée vers la Vallée pour prendre l'ennemi de court.

Tarek se figea. Deux jours, c'est court. Trop court.

        Reprenant ses esprits, le jeune brun demanda d'une voix menaçante :

— Qu'en est-il des prisonniers ? J'ai entendu parler d'une femme et d'une enfant que le Masque Noir retiendrait ici. Que sais-tu ?

Le vieil homme déglutit face au ton froid du jeune encapuchonné et répondit d'une voix tremblante :

— Cela fait deux jours qu'elles ont été exfiltrées. Le Masque Noir va s'en servir pour appâter l'Ilewite en plein milieu des combats. Personne ne sait où il les retient, mais ce que je peux t'assurer, c'est qu'elles sont en dehors de la ville. Tu ne les trouveras pas ici.

Tarek se figea une nouvelle fois, la mâchoire crispée, les poings serrés.

        Il jura.


La Fille GeléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant