Chapitre 66

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Anwa, Deuxième Monde, Marché aux esclaves.

Décidément, il y avait foule, aujourd'hui. Le Commandeur Éric n'aurait jamais songé que la mise en vente des anciennes Iko attire autant de monde avant le jour prévu. Étaient-ils curieux ou avides d'un spectacle macabre ? Les enchères qui se déroulaient selon la règle impériale étaient rares. Et sanglantes. En attendant leur sort, les Iko étaient numérotées et exposées dans des cages individuelles, près de la grande estrade où se déroulerait le spectacle dans trois jours. Nombreux étaient ceux venus se délecter de leur beauté...

À son bras, son épouse Esbeth promenait un regard impassible sur la foule. Cherchait-elle à reconnaitre des membres de sa précieuse Coalition ?

Si elle avait choisi une tenue sombre élégante, le Commandeur s'était contenté de son uniforme gris, brodé des neuf étoiles rouges de son rang sur le cœur. De toute façon, la paire d'ailes qu'il arborait ne permettait aucune discrétion. Autant jouer le jeu.

Le Seigneur Gelmir du deuxième monde avait renforcé la sécurité : une tentative d'escamotage des Iko était toujours possible, même si la Purge avait calmé les ardeurs des plus téméraires. Le souvenir était encore frais dans la mémoire du peuple et des seigneurs.

Éric était ravi que la tâche ne lui ait pas échu, cette fois. En cas d'échec, des têtes tomberaient, c'était certain.

La foule était dense, et ils n'avançaient pas. Quelle plaie ! Si cela n'avait tenu qu'à lui, Eric se serait emparé d'Esbeth et ils auraient pris la voie des airs. Être coincé au sol comme un terrestre... mais sa Dame du Neuvième Royaume adorait les bains de foule ; elle les voyait comme un moyen d'obtenir des informations. Cette fois, il avait cédé, pour lui faire plaisir. Il espérait bien la convaincre des bienfaits de l'altitude, un de ces jours.

–Regarde, murmura-t-elle soudain à son oreille. Ne serait-ce pas le Seigneur Evan, là-bas ?

–Où donc ? grommela-t-il.

Elle se lova autour de lui comme pour un baiser, ses mains pivotant ses hanches pour l'orienter dans la bonne direction.

–Il bifurque dans une ruelle.

–Étrange, confirma le Commandeur.

Il joua de ses ailes pour leur donner un peu d'air et leur offrir une meilleure visibilité. Quelques passants s'offusquèrent avant de pâlir et de murmurer des excuses. Esbeth retint un sourire. La réputation du Commandeur des Maagoïs le précédait. Elle devinait qu'il brûlait d'envie de prendre son envol ; peut-être oserait-elle lui demander, un jour, de lui faire découvrir cette troisième dimension de l'espace ?

–Mais je peux comprendre qu'il préfère une ruelle malodorante à cette foule, continua-t-il. Dommage que nous ne puissions l'imiter.

Reprenant son bras, Esbeth l'incita à avancer de nouveau.

–C'est le quatrième seigneur que j'aperçois, dit-elle. À croire que toutes les Familles viennent en repérage.

–Un évènement si rare mérite le détour, non ?

–Oui. Leurs corps sont suffisamment beaux pour être sacrifiés à Orssanc, après tout. Mais je ne le laisserai pas faire, gronda-t-elle avec une soudaine détermination.

Éric retint un sourire. Il aurait pu trouver pire, en termes d'épouse. Certes, elle était membre de la Coalition, mais elle avait surmonté le choc d'apprendre qu'il était déjà au courant.

Il se souvenait encore de leur longue discussion à ce propos. Peut-être s'était-il trop dévoilé, en révélant que leurs vœux de mariage la protégeaient de lui. Le Commandeur avait beau avoir renié ses origines, il restait incapable de mentir.

Les Douze RoyaumesWhere stories live. Discover now