Moi, mon Portable et l'Idiot d'en Face

Chapitre 04

Finnigan venait de poser une question. Une question si simple d'apparence mais d'une profonde complexité. Comment le savais-je ? C'était la dernière sur la fiche que nous étions censés remplir pour aujourd'hui et les dernières questions n'étaient jamais faciles. Je jetais un petit coup d'œil à ma voisine Holly qui, bien évidemment, avait fait ses devoirs, et pouvait répondre à la question. J'aurais pu y glâner quelques mots et me tirer d'affaire si j'en venais à être interroger mais je fus soudain attrapée en plein délit de fraude par ma deuxième nouvelle amie.

Holly était vraiment une chouette personne, et quand je tenais ce genre de discours, c'était que je le pensais vraiment. C'était la meilleure amie de Nora et la deuxième et dernière membre du club de journalisme. Grande, brune, à la peau mate, elle était issue d'une famille de pêcheur amérindienne et vivait sur le port avec sa famille dans une très belle maison coloniale. Jusqu'à ce jour, c'était les seules informations que j'avais réussi à glaner sur la très timide et réservée Holly. Je pouvais à présent rajouter à la liste le fait qu'elle était studieuse et appliquée. Peut-être devrais-je essayer de lui ressembler un peu plus. Ça soulagerait la conscience éducatrice de ma mère. Moi, je pensais que c'était pour demain. Evidemment, ça ne l'était pas.

« Personne ? constata Finnigan. Vraiment ? »

Un silence religieux accueillit l'observation de notre professeur qui soupira. Dire que nous n'étions que le vendredi de la semaine de rentrée était peut-être le plus désolant dans cette histoire. Il est courant pour un élève d'être volontaire et minutieux au moins les trois premières semaines. Ici, cette règle avait connu un cuisant échec. Notre bonne volonté c'était envolée avec la seconde scène du second acte d'Hamlet, la très célèbre pièce de Shakespeare.

« Bon, prenons la question autrement... A part Holly, qui a fait ses devoirs jusqu'au bout ? »

Holly se tassa sur sa chaise mais personne ne fit de remarque, pas même Seth qui ricanait pour un oui ou pour un non. Finnigan parcourut la classe d'un regard ennuyé pour constater que seulement trois mains s'étaient levées. Il soupira une nouvelle fois et s'installa à son bureau, prêt à nous passer un savon. Nous attendîmes quelques interminables secondes avant de comprendre qu'une autre idée c'était immiscée dans son esprit et que la punition qui nous attendait semblait déjà plus sadique.

« J'aimerai vous punir... murmura-t-il, se délectant de nos grimaces ennuyées. J'aimerai vraiment. Mais nous ne sommes qu'à la première semaine de rentrée et je ne voudrai pas passer pour le vilain petit canard de l'équipe pédagogique. »

Quelques courageux, merci Seth de te manifester à nouveau, ricanèrent aigrement.

« Oui, mais ! reprit aussitôt Finnigan. Il se pourrait bien que j'ai trouvé une idée encore plus amusante pour vous aider à accrocher à mes cours. Hamlet est véritablement l'une de mes pièces préférées. La tension, le meurtre, la vengeance... Et pourtant, tout n'est que parole. Et vous savez ce qu'il y a de beau avec la parole ? C'est qu'elle peut être jouée. »

Un long silence plana sur la salle. Il ne nous menaçait plus, il se moquait de nous.

« Je vois bien que l'écrit vous déplaît ! conclut Finnigan. Je vois bien que vous préférez l'oral ! Si vous ne voulez pas étudier cette pièce, vous allez la jouer. »

Evidemment. Les professeurs de littératures ne faisaient véritablement aucune preuve d'imagination. Dès qu'il s'agissait de nous sensibiliser au théâtre, vous pouviez être sûr qu'une petite scène devant la classe était la première idée émise.