Chapitre 14

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Sam posa tranquillement son café devant elle et se mit à gratter une tâche sur la table de la cuisine. Elle chantonnait à mi-voix, souriant naïvement. A New-York, ma mère ne faisait jamais ça. Elle ne souriait jamais naïvement, et la voir procéder ainsi était à la fois attendrissant et terriblement flippant. On aurait dit qu'on lui avait lavé le cerveau. Viktor lui avait lavé le cerveau.

« Tu fais quoi de beau aujourd'hui ? lui demandai-je parce qu'on aurait dit qu'elle attendait que ça.

- Viktor et moi partons dans la ville d'à côté ! s'exclama-t-elle joyeusement. Avec le boulot, je n'ai pas trop eu le temps de découvrir la région. »

Elle se tut, pensive.

« Tu veux venir avec nous ? finit-elle par demander.

- Non, ça va, répondis-je. J'ai deux trois trucs à régler pour les cours. Et puis, j'ai une réunion de staff. »

Sam hocha la tête.

« Tu es contente ? s'inquiéta-t-elle. Tu sais que tu n'es pas obligée de travailler, hein ?

- J'aime ça et, franchement, c'est super cool ! »

Ma mère m'adressa un sourire rassuré. Déjà à New-York, elle n'aimait pas trop l'idée que je bosse. Mes études étaient plus importantes. Puis, comme elle me sentait épanouie, elle lâchait prise. Sam s'inquiétait toujours pour rien. « Tu sors ce soir ? Mais et ton dossier, il est terminé ? », « Keira m'a dit que tu avais un exposé en anglais, tu es sûre que tu dois faire des heures sup' ? ». En fait, ma mère s'inquiétait surtout pour mes études.

« Et l'équipe, elle est sympa ?

- Plutôt oui !

- Eva m'a dit que tu bossais avec Seth. »

Surtout avec Leith. Je bossais surtout avec Leith. Seth n'était qu'une sorte de tâche sur le tableau. Qu'est-ce que j'étais méchante quand je me perdais dans mes pensées.

« Moui. »

Ma mère joua avec une de ses boucles rousses.

« J'aime bien Seth, marmonna-t-elle. Il me fait penser à ton père. »

Je sursautais sur ma chaise.

Sam ne parlait jamais de mon père. Ou, quand c'était le cas, toujours en mal. C'était l'une des premières fois qu'elle l'évoquait l'air rêveuse. Je ne savais pas si c'était à cause de Viktor, ou simplement parce qu'elle gardait jalousement les plus précieux souvenirs pour elle. Comme si tout ça n'était qu'un rêve. Un rêve qui se serait terminé tout en douceur.

« Il était comme ça ? demandai-je. Comme Seth ?

- Physiquement, non. Mais il me faisait beaucoup rire, poursuivit ma mère. »

C'est vrai que Seth était drôle.

« Tu me parleras de lui un jour ? risquai-je en repoussant ma tasse dans un coin de la table, geste nerveux qui attira l'attention de ma mère. »

Elle haussa les épaules.

« Peut-être, murmura-t-elle. Peut-être qu'un jour, je ferais la paix avec ça, et ce sera plus facile de t'en parler. »

Nous échangeâmes un regard entendu. C'était notre manière à nous d'accepter la proposition de l'autre. Sam n'avait jamais été capable de me dire ces mots-là. Ou elle coupait court à notre discussion ou sa voix grimpait dans les aigues et elle quittait la pièce en me grondant pour un lacet défait.

Nous débarrassâmes la table du petit déjeuner en silence. Puis, alors que ma mère terminait de laver la table, elle se tourna vers moi.

« Au fait, tu n'as pas une réunion parent-prof, un de ses quatre ? me demanda-t-elle.

Moi, mon Portable et l'Idiot d'en FaceWhere stories live. Discover now