Chapitre 8

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Freyja avance. Ses jambes sont encore un peu incertaines et de temps en temps, tremblent sous son poids. Elle serre les dents, déterminée. Cela fait des semaines qu'elle s'entraîne à remarcher, des semaines qu'elle balance en équilibre sur des béquilles. Elle ne veut plus, ne veut plus être dépendantes de ces misérables bouts de bois.

Elle est forte, elle se le répète à longueur de temps, elle refuse de devenir un être infirme et instable, incapable de s'occuper de soi-même. Elle grimace et s'arrête quelques instants avant de se glisser au sol. Elle se trouve dans une petite prairie. Entre les touffes d'herbe verdoyante, des boutons d'or et des marguerites se mélangent, le soleil dans le ciel se couche en une boule rouge dans un ciel rose. Les oiseaux chantent encore. Freyja laisse tomber sa tête dans la nuque et ferme les yeux, les derniers rayons de l'astre lui réchauffant le visage. Kild ne sera pas heureux qu'elle ne soit pas encore rentrée alors que la nuit tombe - qu'importe.

Elle profite des derniers instants de la journée, tentant de mémoriser chaque petit détail qui l'entoure, de le graver dans sa tête, précieusement. Mémoriser. Sa mémoire n'est toujours pas revenue. La jeune fille subit un vide dans sa tête, un espace noir qu'elle tente désespérément de remplir à nouveau. Deux mois sont à nouveau passés et Kild refuse toujours obstinément de lui dire quoique ce soit. Il ne la comprend pas. Il ne connaît pas ce sentiment étouffant de ne pas savoir. De chercher dans sa tête, de tourner en rond. Comme avoir un mot sur la langue et ne pas arriver à le sortir, Freyja sait que quelque part dans sa cervelle, se cache ces foutus souvenirs mais elle n'arrive pas à mettre le doigt dessus. De temps en temps, des images floues apparaissent et la tourmentent. Des visages, des expressions, des couleurs qu'elle n'arrive pas à comprendre. Rien ne fait sens dans ce qu'elle voit.

Beaucoup de rouge, du rouge qui coule, du rouge sur des visages, du rouge sur des mains. Des yeux bleus, violents. Beaucoup de neige, des cris. Des fois, Freyja en a mal à la tête. Elle se met alors à pâlir, alors qu'elle est dehors, allongé dans son lit, debout avec Kild. Le vieil homme lui demande alors doucement ce qui lui arrive et Freyja secoue la tête. Elle refuse d'en parler. Elle refuse de raconter à qui que ce soit ce qu'il se passe derrière sa tête, entourée d'une cicatrice de peau rougie.

La jeune femme soupire, elle a envie de pleurer de désespoir. Le médecin lui répète sans cesse d'avoir patience, de laisser le temps faire ce qu'il a à faire mais le temps est trop lent ! Elle veut savoir, savoir qui elle était, avec qui, ce qu'elle a vécu. Une larme coule le long de sa joue. Dans le ciel, le soleil a disparu. Elle essuie la larme d'un revers de main et rouvre les yeux. Elle se lève difficilement et croise les bras alors qu'un frisson traverse son corps. L'astre solaire est parti en emmenant sa chaleur et le ciel au-dessus de sa tête se teinte de bleu. Freyja fait demi-tour, fatiguée. Elle se sent seule et vide, elle trébuche, ne réagit pas. Bientôt, la maison de Kild apparaît devant ses yeux et elle soupire de soulagement. Le vieil homme est assis à l'entrée, visiblement soulagé lorsqu'il la voit.

"Tu m'as fait une frayeur, petite! Tu sais très bien que je m'aime pas que tu sortes quand la nuit tombe, qui sait ce qui traîne dehors à des heures pareils !", s'exclame-t-il, fait un pas vers elle et l'attire contre elle. Freyja se laisse faire et profite quelques instants de la chaleur humaine. Kild la pousse à l'intérieur de la maison tandis que la nouvelle servante, Agda, lui sourit gentiment. La jeune femme s'installe à table, suivit du vieil homme. Agda leur serre à manger puis lance un regard sournois à Freyja.
"Dites-donc, c'est bientôt la fête du printemps !", dit-elle. Kild rit et lève son verre tandis que Freyja grogne intérieurement.
"Il est temps que les Dieux mettent enfin fin à la saison obscure, elle a bien assez durée", il réfléchit un instant, "Agda, il va falloir installer un arbre de mai et organiser de quoi boire et manger car les villageois se réunissent tout les ans ici."

Vénus en fleursWhere stories live. Discover now