Chapitre 21

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Les mains de Freyja se mettent là trembler tandis que son cerveau tente de comprendre et d'analyser ce qu'il se passe. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible.
Elle ouvre la bouche pour crier mais aucun son n'en sort, elle est comme paralysée tandis qu'elle n'arrive toujours pas à former une seule pensée cohérente. Elle recule d'un pas en trébuchant, avance à reculons jusqu'à ce que son dos cogne contre la porte. Elle porte ses mains à sa bouche, les laisse tomber à nouveau. Ce n'est pas possible.

Finalement, un cri traverse sa gorge et tout son corps est secoué de spasme. Elle entend vaguement des bruits de pas qui accourent, des voix, des cognements. Elle s'éloigne de la porte et quelques secondes plus tard, celle-ci s'ouvre d'un coup brusque, laissant passer Agda.
"Qu'est-ce qu'il se passe !", s'exclame la vieille femme, un regard ahuri sur le visage habituellement paisible.
Freyja, incapable de parler, secoue désespérément la tête. Elle montre ensuite le lit du doigt.

Agda comprend instantanément.
"Non... ", forme ses lèvres, "Non. "
Kild ne bouge pas.
Kild ne bougera plus.
Kild est mort.

La vieille femme s'approche lentement de la silhouette du vieil homme et d'une main incertaine, lui relève le menton froid.
Il a les yeux fermés, un sourire aux lèvres. Il a l'air heureux. Il a l'expression du Kild vivant sur un visage endormi. Un peu plus pâle que d'habitude, un peu plus rigide, une statue de cire inerte.
Doucement, Agda l'allonge contre ses coussins, précautionneusement.
"Il s'est endormi.", murmure Agda à Freyja, "Il a eut une belle mort."
La jeune femme hoche la tête, presque inconsciemment. Elle s'approche à son tour et prend la main du vieil homme dans la sienne. Elle la contemple un instant, les yeux larges, un air enfantin, d'un enfant paumé, sur le visage. Kild, le vrai Kild, ne pouvait pas être mort. Il était trop drôle, trop fort, trop souriant, trop optimiste. Les hommes comme lui ne pouvaient pas mourir. Et pourtant...
Elle secoue sa tête dans laquelle tout tourbillonne et se casse la figure.
"Agda... ", murmure-t-elle sans réfléchir, "On devrait le couvrir, il est tout froid."
La servante soupire tristement et couvre le corps de Kild avec un duvet. Les yeux dans le vide, Freyja sourit un peu.
"Merci.", souffle-t-elle.
La vieille femme lui pose une main sur l'épaule.
"Viens, petite, viens prendre l'air un petit peu."
Freyja secoue la tête. Elle ne veut pas sortir. Elle veut continuer à tenir Kild. Elle ne veut pas le laisser partir. Elle ne peut pas. Si elle fait ça, elle est seule. Sans Kild, elle est sans repère. Il ne l'a pas laissé partir non plus ! Ses lèvres tremblent un peu.

Il y a quelque chose d'extrêmement perturbant pour elle - dans sa tête, un mort, c'est un tas d'os, de cendres, mais pas quelque chose d'aussi... Humain. Le moment d'une dernière expression du visage. Un corps seulement un tout petit peu différent du sien. Elle déglutit lorsque la mort devient quelque chose de réel dans ses pensées qui tourbillonnent et que les faits la rattrapent avant même qu'elle ait pu s'en protéger.

Kild est mort. Mort. Mort, mort, mort.
Elle secoue la tête, presque désespérément, encore et encore.
"Kild... Tu ne peux pas être mort!", souffle-t-elle, "Tu ne peux pas! Tu devais attendre que je finisse mon apprentissage, que je revienne, tu avais des relations à me faire, tu devais être là le jour de mon mariage, tu devais..."
La voix de Freyja se casse, elle renifle et une larme lui roule le long de sa joue, presque tendrement, et goutte sur ses mains tremblantes et pâles, suivit par d'autres. Les larmes coulent de ses yeux et inondent son visage tandis que Freyja tremble en silence, reniflant de temps en temps et s'accrochant désespérément à la main de Kild.  Elle sent Agda lui caresser le dos.
"Il n'aurait pas voulu te voir comme ça, ma petite. Tu étais sa petite fille et pour rien au monde il n'aurait voulu te voir pleurer."
"Je sais", hoquette Freyja, "Je sais mais... Je ne peux pas... Je ne sais pas quoi faire... Sans lui. Il était... Il était mon père." Sa voix se brise à nouveau et elle ferme les yeux. La porte de la chambre s'ouvre à nouveau lorsque Faolàn et Pranan entrent dans la pièce. Faolàn pâlit en observant la scène. Il se fige tandis que Pranan lui lance un regard incertain.
"Est-ce qu'il est... "
Agda se tourne vers lui et hoche lentement, gravement la tête, incessamment caressant le dos de Freyja qui ne bouge pas d'un millimètre. Faolàn fait un pas en avant et s'accroupit de l'autre côté du lit, ses yeux bleus exorbités posés sur le visage du vieil homme. Il lui passe doucement une main sur le front, serrant l'autre en poing, serrant les dents.

Vénus en fleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant