Chapitre 20 (partie 2)

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Il fait nuit noire lorsqu'ils arrivent à la demeure de Kild. Quelques torches éclairent faiblement le chemin et Freyja se passe une main fatiguée sur le front. Elle ne sait plus exactement depuis combien de temps elle sent le ballotement de la charrette, depuis combien de temps elle ne mange que du pain sec et de l'eau au goût légèrement ranci. À côté d'elle, Faolàn et Allande dorment tandis que Pranan mène le cheval. La jeune femme soupire et jette un coup d'oeil à la jambe de Faolàn. Elle ne dit rien, mais elle s'inquiète. La blessure empire et elle ne sait pas quoi faire. Elle ne peut que nettoyer et désinfecter comme elle peut. Allande lui a murmuré qu'ils allaient devoir en parler avant qu'il ne soit trop tard. Elle déglutit.

Amputer un homme n'est jamais une chose facile.

Faolàn gémit doucement dans son sommeil et la charrette s'arrête. Des bruits de pas, puis des voix d'homme.
"Halte ! Qui va là ?!"
Freyja descend du véhicule.
"C'est Freyja. Je viens voir Kild. Il m'a convoquée d'urgence."
Les hommes se jettent un regard interrogateur à la lueur des flammes. "Kild t'as... Convoquée ?", demande l'un et elle hoche la tête, légèrement déstabilisée.
"Oui. Quelque chose ne va pas ?"
L'homme semble hésiter un instant puis secoue la tête.
"Agda est là ?", demande Freyja.
"À la cuisine."
La jeune femme hoche la tête. Elle se tourne rapidement vers Pranan.
"Réveille les deux autres, je vais déjà jeter un coup d'oeil à l'intérieur.", lui murmure-t-elle, un doux sourire aux lèvres, excitée à l'idée de revoir le vieil homme.

Les deux hommes s'écartent de son chemin et la laissent passer sans un mot tandis qu'elle avance à grands pas vers la maison. Elle monte les marches, le coeur battant la chamade, elle ouvre la porte. Cette dernière grince toujours un peu et la jeune femme sourit. Elle ferme les yeux un instant lorsque l'odeur familière de chaleur et de pain lui parvient. Elle a l'impression d'être de retour à la maison. Enfin. Elle fait quelques pas puis entre dans la cuisine.

Agda est là. Les cheveux lâchés dans le dos, penchée en avant, tandis que ses mains pétrissent une pâte. Elle ne se retourne pas à son arrivée, ses mains continuent à travailler, méthodiquement, habituées.
"Agda ?", demande doucement Freyja pour ne pas l'effrayer. Agda sursaute et inspire l'air bruyamment, se tournant d'un coup brusque !
"Freyja !", s'écrie-t-elle avant de faire un bon pour prendre la jeune femme dans ses bras. Cette dernière n'a que le temps s'apercevoir des yeux rougis et un visage humide. Quelque chose ne va définitivement pas.
"Agda, où est Kild ?"
La femme la relâche de son étreinte, la regarde un instant puis soupire.
"Dans sa chambre", elle lève les yeux au ciel de manière théâtrale, "Ce vieux fou a décidé de jouer le grincheux du village !"
Freyja rit un peu et secoue la tête.
"Ça lui ressemble bien. Mais...", elle fronce un peu les sourcils, "Tu as pleuré ?"
Agda fait un geste de la main et secoue la tête.
"Oh ce n'est rien, petite, tu sais, moi et le printemps... Dès que ça bourgeonne j'ai les yeux qui pleure et le nez qui coule !"
Rassurée, la jeune fille sourit, même si elle n'est pas totalement convaincue.
"Tu n'as qu'à demander à Allande s'il peut t'aider - il est guérisseur après tout, et ne doit pas tarder à arriver."
Agda sourit à son tour, renifle un peu et hoche la tête. Elle fixe Freyja un instant puis murmure :
"Tu as grandi, petite. Je suis heureuse de te voir."
"Moi aussi, Agda." Elle fait une courte pause puis ajoute : "Je vais aller voir le vieux grincheux."

La femme hoche la tête puis retourne s'occuper de sa pâte. Allande, Pranan et Faolàn ne sont pas encore à l'intérieur et Freyja avance joyeusement jusqu'à la chambre de son père adoptif. Elle toque à la porte, une fois, toc, deux fois, toc, trois fois, toc. 

Pas de réponse.
Intriguée, Freyja ouvre lentement la porte avant de réfléchir, ignorant que Kild est peut-être seulement en train de dormir. A l'intérieur de la petite pièce, il fait sombre et seule une minuscule bougie illumine le grand lit en bois foncé dans lequel est installé le vieil homme.
"Kild ?", demande-t-elle dans le vide et un bruit de draps puis un soupir de joie lui répondent.
"Freyja ! Petite ! Tu es là ! Enfin !"
La jeune femme sent un sourire lui caresser le visage tandis qu'elle s'approche du lit.
"Il fallait bien - je ne pars pas longtemps et tu fais déjà tourner la pauvre Agda en bourrique !"
Kild rit.
"J'ai le droit, je la paie !", se défend-t-il et Freyja secoue la tête. Décidément, il ne changera jamais. Un vrai gamin.

Vénus en fleursDonde viven las historias. Descúbrelo ahora