virtuelle

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il est 02:11 et je me rends compte que je reste éveillée à scroller. sans même regarder ce qu'il se passe sur l'écran, de toutes façons hormis les américaines qui ont une vie de rêve ici personne n'est éveillé ; et ces filles à l'autre bout du globe qui ont l'air si épanouies j'm'en fiche pas mal, mais j'like quand même, j'rêve quand même.

il est 02:13 et j'actualise mes messages et mes notifications une fois encore. j'attends des messages, j'attends des likes moi aussi mais j'ai ni l'amérique, ni la vie de rêve, donc forcément j'en ai moins. j'espère qu'un commentaire ou deux se seront glissés dans les quelques cœurs tapés machinalement en faisant glisser le fil d'actualité.

il est 02:15 et je me sens nulle. parce que j'ai pas eu les cinquante cœurs habituels sous ma photo, parce que j'ai pas une foule d'admirateurs moi non plus. j'essaye de copier à droite à gauche le talent des autres. je m'imprègne d'eux. j'essaye de DEVENIR eux. eux, avec leurs millions de likes. ils sont sûrement parfaits, ouais. plus que moi.

il est 02:18 et j'ai réduit ma vie à des nombres. la suite de chiffres sur la balance, qui ne descendent pas assez vite à mon goût, le nombre de likes, de followers, de commentaires, le nombre de calories de mon petit-déjeuner, les notes qui dégringolent, le nombre de bleus dans mon âme ; le nombre de marques sur mon corps , et puis celui sur les étiquettes de mes jeans, bien sûr que si, faire du 36 c'est trop, laissez-moi entrer dans du 34, dans du 32, dans du quatorze ans même.

il est 02:22 et je me rends compte que ça fait un mois et demie que je ne suis pas allée en ville. j'vais pas plus loin que mon jardin, j'compte les pâquerettes, j'grimpe aux arbres, j'contemple la pelouse grillée. le téléphone dans ma main droite, mais en train de laisser croire que j'suis connectée avec la nature.

alors qu'en réalité je suis en ligne directe avec l'enfer.

il est 02:26 et j'ai pas dormi plus de dix heures cette semaine. j'passe la nuit à guetter ce qu'il se passe. à vivre à travers les autres. à travers CE QUE MONTRENT les autres.

car je ne le sais pas,

mais les autres sont comme moi.

LES ÉTOILES ONT PLEURÉ Où les histoires vivent. Découvrez maintenant