Sentiments

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_octobre 1849_

Lorsque Desaigu se rendit compte qu'elle était emportée dans une dangereuse valse entre crimes et faux-semblants, il était déjà trop tard. Aucune marche arrière n'était possible. 

De retour à la salle de bal, elle se mit à chercher  Clotilde. Morgane la trouva aux côtés du jeune homme de tout à l'heure. Alors que cette dernière discutait avec enthousiasme, elle lui fit signe de les rejoindre. 

- Tu avais raison ! déclara-t-elle.

- Toujours, précisa la jeune femme avec une pointe d'ironie, j'ai toujours raison.

Elles s'échangèrent de discrets clins d'œil. 

- Et vous êtes ? 

- Morgane Desaigu. 

- C'est une amie, ajouta Clotilde.  

En l'entendant la présenter en ces termes, elle ne put s'empêcher de ressentir quelque chose. Son cœur s'allégea. Son dernier ami était mort depuis deux ans, une nouvelle amitié était la meilleure chose qui pouvait lui arriver. 

- Enchanté, Jacques Veerman. 

- Enchantée. 

Le jeune homme lui serra la main avec joie, ses grands yeux verts rivés sur Clotilde. Celle-ci affichait un immense sourire qui ne diminuait pas, au contraire, il s'étirait au fil de la discussion. Morgane était heureuse pour son amie, même si, au fond, elle l'enviait un peu. Ils discutèrent tous les trois. Les sujets abordés allaient des anecdotes, aux aspirations de chacun, en passant par les dernières sorties littéraires. 

- Et la ruée vers l'or, vous en pensez quoi ? 

- J'ignore à quoi vous faites référence monsieur Veerman. Surement pas ce à quoi je pense, s'amusa-t-elle. 

- Vous n'en avez jamais entendu parler ? C'est sur les lèvres de tout le monde depuis un moment. Le bruit cours que de nombreux investisseurs partent en Amérique à la recherche d'or. Cela rapporte énormément, à ce qu'on m'a dit. 

- Je n'étais pas au courant. Et toi Morgane ?

En l'absence de réponse, elle insista. 

- Morgane ?

- Oh, pardon. Je réfléchissait. De quoi parlait-on ?

- De la ruée vers l'or, en avais-tu été informée ? 

- Oui, fort bien. Il fut un moment où je côtoyais des gens qui n'avaient plus que ça à la bouche.

- Quel désagrément cela a dut être ! Les gens qui s'entêtent sont... agaçant. Il n'empêche que j'envisage, peut-être, à l'avenir de m'installer sur ce continent, on dit qu'il y a possibilité d'y faire fortune avec un peu de moyens. 

Les jeunes femmes s'échangèrent un regard. Si Clotilde comptait avoir une relation sérieuse avec Monsieur Jacques, elle devait maintenant prendre note de ce détail important. Desaigu ne parvenait pas à comprendre ce qu'elle lui trouvait. Il était de bonne compagnie, certes, mais qu'est-ce qu'il pouvait être ennuyeux par moment ! La jeune femme se dit qu'elle le lui demandera une autre fois.

- Excusez-moi, je crois que j'avais une danse de prévue avec un certain monsieur Wilde, déclara cette dernière. 

- Je vous en prie, nous ne vous retenons pas, s'inclina poliment Veerman. 

- Oui, si tu veux le rejoindre, ce n'est pas nous qui allons t'en empêcher ! 

Elle se pencha et chuchota;

- Tu devras m'expliquer comment cela ce sera passé avec cet étrange monsieur Wilde.

Elles lâchèrent un petit rire étouffé.  

Morgane les remercia et se retourna. Si elle avait menti, c'était parce qu'elle désirait retrouver monsieur Lancaster au plus vite. 

Perdue au milieu des invités, sa tête commença à tourner. Les souvenirs du passé remontaient à la surface avec une violence inouïe. Elle avait fait tant d'efforts depuis la veille pour camoufler ses émotions que tout lui retombait dessus d'une traite. Et le vacarme ambiant ne l'aidait pas. Tout repassait en boucle dans son esprit. La jeune femme entendit sa mère l'appeler. Elle lança un regard autour d'elle. Son cœur se serra de plus en plus. À un tel point qu'elle commença à se sentir étouffée. 

- Morgane, dit une petite voix, tu avais promis. 

Elle vit le visage de la petite fille dépasser du jupon d'une femme qui discutait en faisant de grands gestes. 

- Louise...murmura Desaigu. 

Ses yeux s'embuèrent. Elle n'en pouvait plus et se précipita alors vers un couloir sombre qu'elle avait repéré auparavant. Elle y progressa, les jambes tremblantes et la respiration agitée. Quelqu'un lui attrapa la main. Un homme. Morgane se retourna et, malgré la pénombre, reconnu Viktor. Soudain tout lui parut plus clair. Ses yeux, elle le savait depuis le début ! Ils se dévisagèrent en silence. La jeune femme sentit une larme rouler sur sa joue. Ce qui suivit avait paru si naturel qu'elle ne se souvint plus si c'était elle ou lui qui en était à l'initiative. Mais il la serra dans ses bras. Son soulagement était tel que sur ses joues roulaient maintenant une multitude de gouttes salées. Son âme entière lui criait qu'elle ne voulait plus se cacher. 

- Je vous aime dame Morgane. 




Vengeances MacabresWhere stories live. Discover now