Entretien funeste

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_octobre 1849_

Les deux femmes avaient pris place sur les fauteuils d'un petit salon. La pièce était d'un luxe qui dépassait tout ce que Morgane avait pu observer jusque là. Et pourtant elle en avait vu des choses. 

Face à la visible attente de son hôte, Morgane se lança;

- Ce que j'ai à vous dire n'est pas aisé. Je crois qu'un petit remontant permettrait de rendre l'information plus acceptable, si vous êtes d'accord. 

- Tout à fait. 

Joséphine se leva et se dirigea vers une petite armoire qui renfermait des alcools aussi cher que cinq calèches.

Morgane glissa sa main dans son sac. Sa nervosité diminua au contact de son pistolet. Si tout devait basculer, il suffirait d'un seul coup et tout serait réglé. Du moins, c'était ce qu'elle pensait. 

En réalité, l'usage de cette arme ne l'aiderait d'aucune façon en de telles circonstances.  Car, si tant était qu'elle visait juste au moment crucial, combien de temps aurait-elle pour fuir ? Pas assez sans doute que pour atteindre le rez de chaussée sans se faire arrêter par les « domestiques ». 

Nul n'ignorait que certains employés de la famille étaient plus des hommes de mains que du réel personnel de maison. Ce détail n'avait pas échappé à la jeune femme qui surveillait scrupuleusement ses arrières. 

 Malgré cette évidence, Morgane continuait de croire au peu d'emprise sur la situation que son pistolet lui procurait. 

Mademoiselle Graham posa les deux verres sur la table et servit une quantité respectable dans chacun des contenants. Puis elle s'assît face à son hôte. 

- Je vous en prie, dites-moi ce qu'il y a à savoir. Expliquez-moi pourquoi vous venez risquer votre vie dans ce but. Je suis disposée à écouter tout ce que vous savez. 

Josephine gardait un sang froid extraordinaire. Rien ne laissait paraître son dévorant besoin de réponse. En lieu et place de son agitation paraissait une femme calme, stricte et sûre d'elle qui ne manquait pas de faire s'agiter Morgane. 

Il était déroutant pour la jeune femme de ne pas sentir sa proie s'étouffer sous la pression. Tant de responsabilités incombaient à Joséphine que personne n'avait tenté de les lister. Alors, si les disparitions se multipliaient chez les Graham, il allait sans dire qu'elle tirerait les ficelles pour sortir le navire de la tempête.

-  J'ai vu quelque chose, hier soir, par la fenêtre de ma chambre. D'ailleurs, elle donne sur le même point de vue que la vôtre. 

Joséphine, suivant le regard de Morgane, se tourna vers la fenêtre qui se tenait dans son dos.

- J'ai aperçu une femme, poursuivit-elle, au bord de la falaise, en compagnie de monsieur Auguste Graham. 

La jeune femme s'arrêta dans son récit.

- Buvons, je crois que c'est à présent que les choses vont se corser. 

Les deux femmes se saisirent de leur verre respectif et burent une généreuse gorgée.

- Votre frère est mort madame. Hier soir, cette fille l'a poussé de la falaise. 

Joséphine se contenta d'hocher la tête, sans autre émotion. 

- Vous en êtes sûre ? 

- Tout à fait. D'ailleurs, ce n'est pas le seul. Monsieur Gontrand Graham, votre père, a lui aussi été tué, et c'est là la raison de son retard. Il ne reviendra tout simplement jamais à Kliffay...

- Comment pouvez-vous savoir cela ? l'interrompit-elle.

- Et, continua Morgane sans la considérer, je suis au regret d'annoncer votre mort imminente. 

La femme se dressa devant elle, les yeux remplis d'une rage à peine contenue.

- C'est vous depuis le début. Vous n'êtes qu'une insolente petite victime qui rêve d'être un jour plus que cela. Mais vous resterez toujours une victime Morgane. Car, je vous le dis, vous ne m'aurez pas. 

L'intéressée se leva à son tour. 

- Vous visez juste, comme toujours. Mais votre destin est déjà scellé et il se pourrait qu'une victime dans mon genre y soit lié à jamais. Des remords, mademoiselle Graham ?

- Je n'ai pas encore dit mon dernier mot, fit-elle amèrement.

- Il viendra plus tôt que vous ne l'imaginez. 

Joséphine lança son verre à la figure de Morgane. Elle ne l'avait pas vu venir. C'était à peine si elle avait eu le temps de bouger. Il la percuta à l'épaule. La jeune fille laissa échapper un cri de surprise et de douleur. 

- Vous êtes folle ! s'écria-t-elle.

- Partez ! Quittez Kliffay immédiatement ! Je jure que...

La femme s'interrompit et se tint au fauteuil. Elle dévisagea Morgane, une lueur d'effroi dans le regard. 

- L'alcool, mademoiselle. C'est cela qui vous a tué, dit la jeune femme avec satisfaction.

- Comment ?

- La vue est splendide de votre fenêtre. La mienne donne sur une autre partie des falaises.

Joséphine comprit directement. Sa meurtrière avait profité de trois secondes d'inattention et cela lui avait suffit. 

Morgane se saisit d'une belle chaise qui reposait sous un bureau et la plaça face à la fenêtre. 

- Je vous en prie, admirons ensemble ce paysage auquel vous avez tourné le dos toute votre vie, pour vous occuper de sales affaires. Quelle ironie du sort pour celle que l'on appelait madame, alors que toute sa vie elle ne faisait que collectionner les fiancés. 

La jeune femme prit Joséphine par le bras et la força à s'asseoir. 

- Pourquoi ? demanda-t-elle fébrilement dans ce qui allait être son dernier mot. 

- Parce que chaque crime doit être puni. Je sais, de source sûre, que c'est vous avez eu l'idée de tuer Théodore. Votre père n'a eu qu'à exprimer une pensée, celle d'assassiner les Trelly. Mais quel éclair de génie vous avez eu ! Pourquoi couper l'eau à sa source si on peut la forcer à verser plus d'argent en l'effrayant.

Morgane ramassa les débris de verre qu'elle cacha derrière les rideaux puis s'éloigna.

- Je vous prie de m'excuser mademoiselle Graham, mais je suis attendue pour souper. 

Une larme roula sur la joue de Joséphine alors que la porte claquait derrière elle, la laissant seule dans le silence et la pénombre. 


Vengeances MacabresWhere stories live. Discover now