Dans La Gueule Du Loup

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_octobre 1849_

Elle se tut. L'homme se tenait dos à elle, devant la cheminée.

- Vous n'avez pas de chaperonne, je me trompe ?

- Non.

- Vous ne connaissez personne ici et personne ne vous connaît.

Morgane s'abstînt de répondre, qu'avait-elle à lui dire de toute façon.

- De plus, c'est assez étrange que mon père vous ait donné rendez-vous un jour où il n'était pas certain d'arriver dans les délais.

- Ce rendez-vous était prévu depuis longtemps, c'est normal qu'il ait pu oublier.

La jeune femme gardait une mains sur la fermeture du sac et jouait avec l'autre. Son cœur se mettait à battre à vive allure. Plusieurs options se présentaient à elle, dont le meurtre de monsieur Graham. Mais ce dernier impliquait le risque qu'elle soit découverte; le bruit attirerait sans doute le personnel de maison, et beaucoup trop de témoins avaient entendu Charles lui donner rendez-vous au déjeuner. Ils allaient rapidement faire le rapprochement, si tant est qu'elle n'était pas prise sur le fait. Cette situation la mettait dans une impasse. Comment s'était-elle jetée dans la gueule du loup sans s'y préparer ?

- Je veux bien l'entendre, mais c'est tout de même étonnant qu'il oublie pareille chose, surtout s' il l'avait consignée ici.

L'homme se retourna et mit le carnet en évidence.

Desaigu pesta intérieurement. Cet argument avait fonctionné avec Auguste pour la simple et bonne raison que ce n'était pas noté. Depuis qu'elle avait renseigné cette entrevue dans le calepin, cette excuse ne faisait pas le poids. La jeune femme ne pouvait pas se tromper, elle devait tout faire pour s'innocenter, au moins aux yeux de monsieur Graham.

- Je ne sais pas, que voulez-vous que je vous dise ? Je commence à croire que vous chercher sérieusement à me rendre coupable de l'oubli de votre père. Dont je suis la victime, Il serait important de le rappeler.

Il souffla, visiblement embêté.

Une lueur d'espoir raviva Morgane; il doutait. La jeune femme espéra qu'il avait changé d'avis à son sujet. Mais elle ne devait pas perdre d'esprit que personne, y compris elle, n'avait été mis au courant des disparitions. Officiellement, elle ne devait rien savoir.

- Non, vous avez raison. Je me suis emporté, veuillez m'excuser. Les temps sont durs vous savez, surtout qu'avec tout ce monde à Kliffay, il faut avoir les yeux partout.

- Ne vous en faites pas, je comprends tout à fait le surmenage que vous devez vivre en ce moment. Toute la région à son attention sur Kliffay, cela serait dommage de se faire une mauvaise publicité.

- Tout à fait.

Desaigu s'était détendue; elle contrôlait la situation.

- Bien, reprit Graham, je ne vous retiens plus dans ce cas là.

- Merci, passez une agréable journée.

- Pareillement.

La jeune femme se retourna et monta les quelques marches qui conduisaient à la sortie avant de quitter la pièce.

Il y avait pas mal de monde dans le hall quand elle sortit. Tous ces gens patientaient pour la chasse organisée ce matin. Une idée lui vint. Si Morgane participait à cette activité, peut-être que les doutes qui pesaient sur elle se dissiperaient.

Elle aperçu Hypolite parmi l'assemblée. Ses cheveux blonds en bataille ne nuisaient pas à son charme, au contraire, ils y contribuaient de façon notable. C'est après s'être fait cette réflexion que cette dernière remarqua un détail qui n'aurait pas dû lui échapper en temps normal. Il était seul. Ils étaient seuls. Depuis le début, elle n'avait jamais vu les Bauvey discuter avec quelqu'un d'autre qu'elle. S'ils fussent de simples jeunes hommes elle ne s'en serait pas inquiétée, la timidité avait parfois ses raisons. Mais là, c'était un autre cas. Hypolite et Viktor étaient de très beaux garçons. Normalement, ils auraient dû être entourée de prétendantes à n'en plus compter.


- Je suis incapable de viser un juste ! se lamenta Clotilde.

Les jeunes femmes s'étaient trouvées rapidement. L'une et l'autre s'étant cherchées mutuellement  

- Ce n'est pas un problème, je te montrerais comment faire si tu le désires.

- Tu sais tirer ?

- Bien sûr !

- Mais comment as-tu appris ?

Un voile sombre passa sur le visage de la jeune femme.

- C'était l'année dernière.

- Là-bas ! s'exclama son amie, ne remarquant pas son étrange attitude.

- Qu'as-tu vu ?

- Une biche, je crois.

Elle s'apprêtait à avancer lorsque Desaigu lui attrapa le bras.

- Je dois te demander quelque chose.

- Mais que fais-tu ? Elle va nous échapper.

Morgane regarda autour d'elle, deux hommes partaient déjà dans la direction qu'avait pointée Clotilde.

- Je dois te poser une question.

- Pourquoi ? Tu m'avais dit que tu savais tirer !

- Oui, je sais. D'ailleurs je ne t'ai pas menti sur ce point c'est juste que... jamais je ne tuerais une biche.

La jeune femme se calma.

- Je peux comprendre. Excuse-moi, c'est juste que j'avais très envie d'impressionner Jacques. Il m'a confié que les femmes qui savent tirer avec adresse l'étonnent.

- Ne t'excuse pas. Cela ne sert à rien de se justifier, les sentiments sont souvent source d'ennuis. Je vais te montrer comment tirer si tu veux. Viens, suis-moi.

Lorsque les deux jeunes femmes se trouvèrent isolées dans un endroit cerclé de buisson, Morgane lui posa la question qui lui brûlait les lèvres :

- Dis-moi, Viktor et Hypolite, pourquoi personne ne va jamais leur parler ?

Elle prit une grande inspiration avant de lui répondre :

- Je ne voulais pas te le dire tout de suite, tu avais l'air de les apprécier mais...

Vengeances MacabresWhere stories live. Discover now