Rumeurs

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_octobre 1849_

-  Je ne voulais pas te le dire tout de suite, tu avais l'air de les apprécier mais...

- Mais quoi ? 

- On raconte beaucoup d'histoires à leur sujet. Mais je peux te garantir que jamais je n'y ai prêté la moindre importance. Les Bauvey m'ont l'air trop aimable que pour avoir commis ne serait-ce que la moitié des atrocités dont on les accuse. Tu sais, les rumeurs n'ont pas besoin de grand chose pour s'enrober de mensonges.

Elle souffla.

- Viens-en aux faits Clotilde, je t'en prie.

- Bon... c'est pas très clair, mais le bruit coure qu'ils commettent des crimes pour des gens hauts placés. Qui ? on ne le dit pas, évidemment. On raconte aussi qu'ils ont déjà tué, et peut-être plus d'une fois. Beaucoup pensent qu'ils abusent des Graham, en jouant sur leur lien de parenté avec eux. 

- Qui dit ça ? l'interrompit-elle.

- Oh, peu de gens, je l'espère. J'ai entendu cette rumeur lors d'une partie de cartes à Spa. En réalité, je crois que certaines jeunes femmes, s'étant vues repoussées par les Bauvey, on surement voulu se venger par le seul pouvoir que possède les femmes; les ragots. 

- A Spa ! Mais c'est que la rumeur a du circuler. Pourquoi les Graham les gardent-t-ils sous leur toit si leur réputation est à ce point mauvaise ?  

- Les Graham ne prêtent aucune forme d'importance aux commérages. 

- Pourtant Dieu sait à quel point ils vénèrent leur image, remarqua Morgane avec une pointe d'ironie. 

Clotilde, qui ne saisit naturellement pas le sous-entendu de son interlocutrice, poursuivit en justifiant son point de vue.

- Justement, les Bauvey, de part leur grand-mère, à ce qu'on m'a dit, descendent des Graham.

Elle ne put cacher sa surprise. Cette idée la révulsait. Le même sang coulait dans leurs veines ?

- C'est de source sûre que tu tient cela ?

- Oh ça oui ! Tout le monde le sait. Même s'ils ne le font jamais remarquer.

Morgane conclut que cela répondait à certaines de ses questions. Ils vivaient à Kliffay, c'était pour cela qu'ils connaissaient des raccourcis.

- J'ose croire que cela n'influence pas trop ton jugement à leur propos...

- Est-ce pour cela, l'interrompit Morgane encore une fois, que personne ne les fréquentent ?

La jeune femme, apprenant ces rumeurs, ne savait qu'en penser.

- Hélas ! oui.

Clotilde l'observa, impuissante. Elle ajouta;

- Tu sais, ils restent tout de même de très bons partis. Même si beaucoup s'aventurent à penser que leur passé les empêche d'être totalement saint d'esprit, je pense honnêtement qu'ils sont pleins de bonnes intentions. Personne n'a jamais pu affirmer les avoir vu manquer de politesse, être vulgaires ou même violents. Je crois qu'ils ne méritent absolument pas les rumeurs qui les incombent. 

Morgane nota cette information. Sans le vouloir, elle cherchait a les défendre intérieurement. Peut-être que ses sentiments pour eux étaient plus importants qu'elle ne voulait l'admettre. Quelque chose cependant la chiffonnait.

- Pourquoi leur passé serait un obstacle à leur bon sens ?

- Tu ne le sais pas ? C'est la tragédie qui a secoué toute l'aristocratie. Personnellement, j'étais très jeune, mais j'entends encore parfois des gens en parler. Les Bauvey étaient assez populaire, parmi leur entourage comptaient de nombreuses personnalités. Je ne pense pas mentir en affirmant que plusieurs princes et même une ou deux princesses étaient en bonne relation avec eux. Les deux frères se partageaient le domaine et jamais aucune querelle ne vint troubler leur équilibre. Chacun s'était marier de son côté et ils se vantaient régulièrement d'avoir fait deux heureuses alliances. Très vite, la famille s'agrandit car, a un an près, deux garçons firent leur entrée dans ce monde. Ils furent élever comme des frères. Je crois savoir que la mère de Viktor était une russe, et que celle d'Hypolite était une certaine madame Lancaster. 

"Un soir de printemps, le premier cas d'épidémie se révéla dans la famille. Les deux garçons étaient chez une tante, ils devaient avoir entre trois et six ans. Fort heureusement, la parente jugea dangereux leur retour à Bauvey. La première à mourir fut la mère de Viktor, puis tout le monde suivi. Même le pauvre personnel, confiné avec leurs maîtres, périt de la même façon. Ce fut rapide, mais l'aristocratie mit du temps à s'en remettre. Il n'y a pas si longtemps, les deux cousins étaient encore très appréciés et soutenus par l'aristocratie. Mais ils se sont isolés pendant plusieurs années et cette rumeur est apparue."

Morgane ne fit pas de remarque. Elle se contenta d'hocher la tête. Etait-ce de là que venait leur chagrin, cette lueur triste dans leur regard ? Une famille entière dévastée, seule deux garçons survivent. Sans le vouloir, la jeune femme ne put s'empêcher de comparer son malheur au leur et, bien malgré elle, se fit la réflexion que le sien était supérieur. Cependant, elle s'arrêta aussitôt, jugeant ses pensées bien égoïstes. 

Morgane planta des branches dans le sol afin d'en faire des cibles. C'est ainsi que la jeune Clotilde apprit à tirer, à l'ombre des bois de Kliffay. Une journée sombre, comme toutes celles d'un mois d'octobre digne de ce nom. 

Après avoir raccompagné son amie auprès du groupe d'invités, Morgane lui fit quelques compliments sur ses talents de tireuse et pris congé, prétextant une forte migraine. Clotilde, reconnaissante, la remercia chaleureusement puis se dirigea vers  M. Veerman.

La jeune femme se pressa de retrouver la demeure. Elle voulait se débarrasser de Charles Graham. Elle s'était déjà occupée d'Auguste, l'ainé de la famille, de Gontran, le père, de Pâris, ça n'allait pas tarder, il restait donc Charles, le second, et Joséphine, la dernière enfant de la première femme de M. Graham. C'était une tâche ardue qui l'attendait, elle n'en doutait pas.

- Puis-je vous raccompagnez ?

Morgane sursauta.

- Viktor ? 

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