Ismérie

14 1 0
                                    

_octobre 1849_

- Mademoiselle requiert encore mes soins? demanda Ismérie sur le point de prendre congé. 

- Pas tout à fait. J'ai une requête pour vous. Auriez-vous l'amabilité de rester deux minutes ? 

La domestique acquiesça et referma la porte. 

- Bien, fit Morgane.

Sous l'injonction de la jeune femme, Ismerie vint s'asseoir sur la chaise au bord de son lit.

- Je vous ai vue sortir du bureau de Charles Graham.

La jeune servante bondit sur ses pieds et voulu partir. Mais Morgane l'en empêcha et retint son bras avec fermeté. Ismérie se rassit. 

- N'ayez crainte, je ne vous veut aucun mal, au contraire, je voudrais vous aider. Je ne dirais rien à vos maîtres. Je sais qu'il ne sont pas d'humeur tendre. Alors parlez.

La jeune servante la fixait avec un regard interdit. 

- Dites-moi ce qu'ils ont fait. Je sais qu'ils ont commis des crimes. 

Face au silence de la domestique, l'interlocutrice insista.

- Que cherchiez-vous dans son bureau ?

Après un court instant, elle réagit enfin à ses propos.

- Je m'excuse auprès de mademoiselle car je suis dans l'incapacité de répondre à sa requête. 

Morgane ouvrit la bouche.

- Toutefois, ajouta Ismérie presqu'aussitôt, une note pourrais peut-être intéresser mademoiselle ?

Elle gesticulait sur la chaise.

- Je... oui, évidemment. Cela serait très judicieux de votre part. Vous avez raison. 

La jeune servante fouilla dans son tablier et en sortit une feuille pliée en quatre ainsi qu'un fusain. Cette dernière alla écrire sur le dos de la chaise.

Desaigu ignorait ce qu'elle pouvait bien noter. Cependant, elle avait saisi la raison du silence d'Ismérie. En réalité, elle craignait d'être entendue, c'était pour cela qu'elle choisissait la voie la plus sûre; celle du silence et des mots. 

La jeune servante déchira le bout de papier sur lequel elle avait écrit et le lui tendit. 

- Si mademoiselle me le permets, je vais prendre congé.

- Je vous en prie. Merci pour votre aide précieuse.

Ismérie hocha la tête et quitta la pièce aussitôt.

Sur le papier, elle avait inscrit:

« Rendez-vous demain à 10h15 sous la verrière »


Un peu fébrile, Morgane était sortie de son lit une heure après le départ de la domestique et avait enfilé la robe que celle-ci avait apporté. 

La tempête faisait toujours rage dehors lorsque la jeune femme alla fermer sa porte à double tour. Il fallait s'assurer de ne recevoir aucune visite importune. C'était primordial. 

Une demi-heure, c'était le temps que cela lui avait pris. Elle avait tout disposé de façon efficace et éprouvait une certaine satisfaction pour son travail accompli. 

Elle prit une grande inspiration, le temps de vérifier que tout était en ordre, éteignit les chandelles et quitta sa chambre. 

Une fois sortie, elle ferma une nouvelle fois sa porte à double tour. La jeune femme sentait l'angoisse monter en elle. Allait-elle y parvenir? 

Tandis qu'elle progressait vers les escaliers, le plan qu'elle avait imaginé devenait de plus en plus concret. Il prenait vie. Si bien qu'arrivée à l'étage supérieur, Morgane était convaincue de la réussite de celui-ci. 

Quel macabre manière d'oublier sa peine, pensait-elle.  La jeune femme avait songé que revenir sur l'objectif même de sa visite à Kliffay l'aiderait à ne pas sombrer davantage dans sa tristesse.

Vérité ou utopie ? Nul ne le savait. La seule chose qui était sûre, c'était que Morgane allait passer à l'acte. Une nouvelle fois.

La jeune femme s'arrêta devant une porte semblable à celle qui donnait sur les appartements de Parîs. Elle colla son oreille sur la serrure.

Il y avait un homme et une femme qui discutaient à l'intérieur. 

Morgane décida alors d'inspecter le couloir. Elle essaya plusieurs portes et l'une d'entre elles s'ouvrît. Il s'agissait d'un placard à ballets. 


Cela faisait au moins un quart d'heure qu'elle guettait, accroupie dans le placard, l'œil collé à la serrure, lorsque l'homme se décida enfin à quitter les lieux. 

Au même instant une jeune domestique pénétrait dans le couloir. Elle salua l'homme et se dirigea vers le placard à ballets. Au grand damne de Morgane qui tressaillit. 

Elle se cala au fond de l'espace et retint sa respiration. Allait-on la surprendre ? Comment fallait-il réagir ? 

Alors qu'un léger rai de lumière rentrait déjà dans le placard, l'homme interpela la domestique qui interrompit son geste. 

- Pourriez-vous aller préparer ma chambre ? Je compte m'y rendre d'ici une demi-heure. Cette fois-ci appliquez-vous, j'ai été assez mécontent hier. J'aimerais pouvoir rassurer mademoiselle Graham sur la qualité de son personnel.

- Bien monsieur. 

- Ne perdez pas de temps!

La jeune servante ne se fit pas priée et referma la porte du placard immédiatement. 

Morgane entendit des bruits de pas précipités suivit par d'autres beaucoup plus lents qui s'éloignaient tous deux en direction des escaliers. 

La jeune femme patienta encore cinq minutes avant de sortir. Elle s'avança devant la porte de tout à l'heure et frappa trois fois.

Un bruit de clé se fit entendre puis la porte s'ouvrît sur une élégante femme d'une trentaine d'années. 

- Qui êtes-vous?

- Je suis Morgane Desaigu. 

La dame la scruta.

- Je vois qui vous êtes. Charles m'a parlé de vous. 

- Je dois m'entretenir avec vous, en privé.

- À quel sujet ?

Morgane improvisa.

- Je sais ce qu'il arrive à votre famille. J'ai vu quelque chose que je n'aurais pas dû voir et je risque ma vie en venant vous le dire. 

- Pourquoi venir me le dire dans ce cas là ?

- Très bien, je vois. J'espérais un peu plus de tact de votre part. Mais puisque mon aide n'est pas requise, je m'en vais la conscience tranquille. 

La jeune femme fit mine de partir.

- Attendez. Vous dites que vous savez ce qui nous arrive? 

Morgane acquiesça.

- Bien, entrez. 

Vengeances MacabresWhere stories live. Discover now