Fils et Frère de mes Ennemis

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_octobre 1849_

- Vous mettez un point d'honneur à faire de ma captivité une rude épreuve. Éprouvez-vous tant d'inimitié à mon égard ?  

Morgane s'agenouilla à sa hauteur. Le parcours qu'elle avait dû réaliser pour parvenir jusqu'aux appartements de Parîs sans se faire remarquer était digne d'une aventure. Mais elle était arrivée. 

- Je m'excuse.

Le jeune homme fut surpris mais tachais de ne montrer aucune émotion. Il ne voulait pas paraître faible. 

Morgane, avec les mêmes gestes que la première fois, sortit la nourriture de sous son jupon. Elle posa devant elle un morceau de fromage, du pain, un peu de beurre emballé dans un chiffon, un couteau, du jambon et une petite bouteille de vin rouge bien fermée.

- Vous cherchez sans nul doute à m'affamer. Je crois ne pas beaucoup approuver votre démarche. Et pourtant, Dieu sait à quel point je suis tolérant.

La jeune femme se leva et pris les deux verres qu'elle avait posé sur la commode en arrivant. 

- Vous vous méprenez sur mes intentions. Mais je crois que je l'ai mérité. En réalité, tout ceci est pour vous, fit-elle en désignant les aliments étalés sur le sol.

Morgane posa les deux verres et les remplit de vin. 

- Vous les avez sûrement cuisiné avec des ingrédients que vous connaissez bien. 

- Que je connais ? 

Elle ne comprenait pas pourquoi Parîs était aussi méfiant. Comme s'ils n'avaient jamais tenue cette conversation la fois précédente.

- Ne me mentez pas, je pensais qu'on se disait tout à présent. Vous y avez ajouté du poison, n'est-ce pas ?

La jeune femme en fut profondément déçue. 

- Vous vous obstinez à noircir mon image mais je vous le jure, je veux juste que vous mangiez à votre faim. 

Parîs, qui résistais depuis tout à l'heure, fini par céder devant la mine affectée de Morgane. 

- Je vous crois. 

Dans un premier temps, elle se contenta de le fixer, silencieuse.  Puis, une grande joie la submergea et son sourire s'étira. 

- Je ne peux vous en vouloir, monsieur Graham. Vous avez agi de la meilleure des façons. Votre confiance représente beaucoup pour moi en cet instant. Merci. J'aimerais savoir si cela vous intéresserait de discuter avec moi. J'ai besoin de me confier et personne ne pourrait me comprendre mieux que vous.

- Oui, cela m'intéresserait.  

Le jeune homme ne la regardait pas dans les yeux. Il s'en voulait d'avoir cédé face à cette demoiselle, celle qui le retenait prisonnier. Si Parîs avait été un autre, le fait que son bourreau fasse partie de la gent féminine aurait hautement affecté son amour propre, mais il n'était pas un autre et sa sagesse, à défaut de le rendre lucide, le poussait à voir au-delà des apparences. 

Morgane porta aux lèvres du jeune homme le verre de vin rouge, qu'il but d'une traite. Elle rit face à son empressement. Au fond d'elle, la culpabilité lui serrait le cœur. Sa négligence était la source de cet empressement, et elle n'en doutait pas. 

- Je crois que beaucoup de choses s'améliorent dans ma vie, commença-t-elle, croyez-vous cela possible ?

- Je l'ignore, il existe de bonnes personnes en ce monde, le saviez-vous ?

La jeune femme ricana, elle saisissait l'ironie de sa question. 

Tandis qu'elle portait les divers aliments qu'il sollicitait à sa bouche, leur conversation s'intensifia. Ils se confiaient tout, presque sans pudeur. Pourquoi auraient-ils du se méfier ? Si l'on ne parlait jamais des conversations que tiennent les otages avec leurs bourreaux, c'est parce qu'elles ne franchissaient jamais le seuil des cellules. 

Morgane parla, pour la première fois clairement, de ses sentiments à l'égard des Bauvey, et éprouva le sentiment étrange d'une vérité révélée. Tant que l'on ne met pas des mots sur nos pensées, elles restent des songes. Exprimer un sentiment, c'est l'obliger à exister. C'était cela qui l'ébranla. La violence d'un aveu, et la beauté d'une défaite. Celle de la raison face à l'amour. 

- Je ne vous remercierais jamais assez pour votre jugement dépourvu de viles intentions et de rancune. Votre gentillesse est irrévocable et me place face à un dilemme. Pourtant, le passé me pousse dans une direction que j'ai parfois du mal suivre. Pardonnez-moi, Pâris Graham, fils et frère de mes ennemis.

-  Je le comprends.

Sur ce, Morgane tourna les talons et s'en alla.

Elle ignorait que Parîs gardait encore un secret. 



Vengeances MacabresWhere stories live. Discover now