Le Bureau des Assassins

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_octobre 1849_

Elle quittais la salle avec angoisse. Morgane n'avait pas oublié le rendez-vous fixé par monsieur Graham. Dans un coin de son esprit, l'idée qu'il pouvait être l'auteur du mot ne la quittait pas.

- Rodolphe ? appela la jeune femme lorsqu'elle arriva dans le hall.

- Vous désirez ?

- Je m'excuse de vous déranger ainsi mais, j'aimerais savoir où se situe le bureau de monsieur Graham. Charles, pour être exact.

- Pourrais-je connaître le motif de cette recherche ? Si cela ne dérange pas mademoiselle, évidemment.

- Oui, bien sûr. J'ai rendez-vous avec lui.

- Bien, veuillez me suivre dans ce cas.

Ils partirent tous deux vers le couloir qu'ils avaient déjà emprunté précédemment pour aller au jardin. Il était situé derrière l'escalier en marbre et n'était pas visible tant que l'on n'avait pas contourné l'imposante structure. Ils prirent à gauche et pénétrèrent dans un deuxième couloir, étroit et sombre, à l'opposé de celui qu'ils venaient d'emprunter. Morgane le reconnut immédiatement. Après deux ou trois mètres, il faisait un crochet vers la droite, et c'est à cet endroit précis que Rodolphe s'arrêta. La même porte où, hier soir, elle collait son oreille à la serrure. Ce corridor devait faire la jonction entre le grand couloir et la salle de bal, pensa-t-elle.

- Voici le bureau de monsieur. Si madame voudrait bien m'en excuser, je dois prendre congé.

- Pas de souci, merci.

Le majordome ne traîna pas et disparu de là où ils venaient.

Un bruit se fit entendre. La jeune femme se retourna brusquement vers la porte. Cette dernière s'ouvrît et Ismérie en sortit. La jeune domestique écarquilla les yeux en la voyant.

- Mademoiselle, fit cette dernière avec surprise.

- Ismérie, s'étonna l'autre.

Pendant un instant elles restèrent là à se dévisager. La jeune femme prise sur le fait referma la porte, la frôla et partit précipitamment en direction du grand couloir. Morgane resta interloquée par cette étrange rencontre, dans des conditions pour le moins surprenantes. 

Charles arriva peu après, avec une minute de retard. Il venait de la salle de bal et n'avait donc pas pu croiser la jeune fille. Ils se saluèrent mutuellement et il présenta ses excuses;

- Je vous prie de bien vouloir me pardonner, mais j'ai, hélas, perdu mes clés.

- Veuillez excuser ma méprise, monsieur, mais à quels clefs faites-vous allusion ?

- À celles de mon bureau. Mais ce n'est pas un problème. Nous irons dans le bureau de mon père qui est, il me semble, le plus approprié pour cette délicate affaire.

- Si vous le dites...

La jeune femme le suivit pendant qu'il regagnait le hall. Elle se demanda  ce qu'avait pu faire Charles à Ismérie, pour que l'intéressée en vienne à fouiller dans les affaires de son propre maître.

- Et voici, nous serons plus à l'aise ici. Je vais demander à un domestique d'allumer un feu, il fait un peu froid, ne trouvez-vous pas ?

- Oui, vous avez raison. Mais c'est la saison après tout.

Elle eut à peine fini d'achever sa phrase qu'il tirait déjà sur la clochette. Alors qu'ils patientaient, Desaigu se fit la réflexion que ce bureau était celui où elle rencontrait systématiquement les assassins de cette horrible famille. La toute première fois qu'elle était entrée ici, c'était il y a deux ans.

Une jeune domestique se présenta à la porte.

- Vous m'avez appelé ?

- Oui, Jeanne. Pourriez-vous allumer le feu ?

- De suite monsieur.

- Bien.

Elle s'exécuta.

Morgane repensa à l'histoire de monsieur Pâris Graham. Elle ne voulait pas l'admettre, mais elle ressentait de la compassion à son égard. La jeune femme se demanda si il la comprenait, elle aussi. Finalement, ils avaient vécu tous les deux, à un moment de leur vie, le même déchirement. Mais elle se rappela, presque immédiatement, que le jeune homme ne savait pas toute l'histoire. Personne ne la savait.

Tant de mystère, tant de secrets, tant de souffrances et tant de personnes. Tant de choses qui resteront à tout jamais dans son esprit. Il n'était pas trop tard, elle n'était pas morte pour autant. Le seul jour où Desaigu aura la certitude que ses souvenirs reposeront pour l'éternité, ce sera le jour où elle entamera ce long sommeil ; le jour de sa mort.

La domestique sortit. Rien qu'à entendre le crépitement du bois dans la cheminée, Desaigu se réchauffait déjà. Dans le bureau, tout était parfaitement rangé. Cette organisation devait être l'œuvre d'Auguste, elle en était certaine. Lors de sa toute première visite, la fois où ce fut Gontran qui l'y reçut, cet endroit était moins ordonné. Pas en désordre, juste un peu moins bien organisé.

- je suppose que vous désirez connaître les motivations de cette entrevue.

- C'est exact.

L'homme déambulait dans la pièce. Ses yeux plissés, il était plongé dans une intense réflexion jusqu'à ce que sa main se referme sur un calepin qui trainait sur l'imposant bureau.

- Ah, justement, s'exclama t-il, le voilà.

- Permettez-moi de faire remarquer que vous ne répondez pas à mon interrogation.

- Je vais y venir. Voyez-vous, ce carnet est l'agenda de mon père. Il y consigne tous ses rendez-vous. D'après Parîs, Auguste vous a offert l'hospitalité à la suite d' une erreur de mon père. Nous allons le vérifier maintenant.

Il ouvrit le carnet noirci d'annotations. Les pages défilaient les unes après les autres avant qu'il ne s'arrête à celle qui les intéressait.

- Quoi ? Mais ce n'est pas possible... J'étais pourtant certain.

- De quoi ?

Morgane ne put s'empêcher de réprimer un sourire de satisfaction. Elle avait, au préalable, modifié quelques notes dans l'agenda lorsqu'Auguste en avait fait mention. Tout le monde ici agissait de sorte à donner l'impression que cette pièce était fermée à clé, comme tous les autres bureaux. Mais elle ne l'était pas, et ce, pour une raison qui lui échappait encore. Voilà pourquoi elle avait eu toutes les facilités du monde à s'infiltrer ici, hier après-midi.

- Je voulais vous prévenir, reprit Charles qui s'était remis de ses émotions, du fait que votre attente devrait se prolonger un jour de plus. Votre séjour ici l'est également, n'ayez aucun souci là dessus.

- C'est navrant, mais je ne puis que vous remercier pour votre hospitalité. Sera-t-il possible de m'entretenir auprès d'Auguste ?

- À quel sujet ?

- C'est assez personnel.

- Je vois...Je vais voir ce que je peux faire, mais je ne vous garantit rien.

- C'est très gentil, merci.

- De rien.

Il ajouta :

- Je voulais néanmoins vous poser une autre question.

- Oui ?

- Vous admettrez que votre situation est suspecte.

- Par rapport à quoi ? Dois-je vous rappeler que le terme suspect concerne quelque chose sujet à être coupable d'un crime. Pourrais-je savoir de quel délit, dans ce cas là ?

Elle regretta immédiatement son ton défiant. 

- Mademoiselle Desaigu, je vous inviterais à ne pas jouer sur les mots dans ce qui va suivre, dit-il avec gravité.

Morgane porta la main à son petit sac. Il contenait le pistolet qu'elle avait emporté pour son séjour à Kliffay, au cas où elle en aurait l'utilité.

Le jeune femme avait bien l'impression que ce moment pourrait être cet instant.

Vengeances MacabresWhere stories live. Discover now