Surprises et rendez-vous

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 _octobre 1849_

Morgane s'était réveillée ce matin, comme tous les autres, avec un désir de vengeance grandissant. Peu importait qui savait, une seule chose primait dans son esprit. Se venger. Puisque la justice avait échoué, elle se ferait justice elle-même. D'ailleurs, cela avait déjà commencé, pas plus tard qu'hier matin, avec l'assassinat de monsieur Gontran Graham. La jeune femme devenait, sans en avoir conscience - ou, du moins, sans vouloir y penser - un monstre sanguinaire, poussés par ses folies meurtrières. Le monde ne la sauverait pas d'elle-même et de ses fantômes. Etait-ce cette pensée qui lui avait fait perdre foi en l'humanité ? Nul ne pourrait en juger. Desaigu était une énigme qui commençait par beauté et se terminait par secret. Ses joues roses rappelaient la rosée du matin et ses yeux verts pétillaient d'une étrange lueur. Ceux qui savaient, pouvaient lire dans son regard, tout comme les Bauvey, la marque d'un passé tourmenté. Morgane avait aussi un sourire magnifique, hélas teinté de cette mélancolie furieuse qui la consumait déjà à petit feu.

Partout autour d'elle, les invités - moins nombreux qu'aux festivités de la veille - piochaient des victuailles sur une table de quatre mètres de long. La jeune femme se servit sans hésiter. Elle n'avait aucune certitude quant à sa présence pour le dîner et le souper*. Profiter était donc d'usage. En s'avançant, Desaigu entendit les rires d'une fillette. Elle scruta la pièce. Aucun enfant n'était présent. Morgane ne bougeait plus. Autre qu'une petite fille, ce qu'elle vit la pétrifia. C'était Théodore. Il marchait près du buffet, une assiette en main. Impossible. Cette scène était purement et simplement impossible. Le garçon s'arrêta pour l'observer, étonné. Elle découvrit que Viktor était à ses côtés. Morgane écarquilla les yeux, bouche bée.

- Mademoiselle Desaigu.

- Oui ?

La jeune femme se retourna. Charles Graham l'avait interpellé, et, au son de sa voix, elle comprit que ce n'était pas pour échanger de simples futilités.

- Monsieur Graham, dit-elle en s'inclinant légèrement.

Il lui rendit sa révérence d'un signe de tête poli et poursuivit;

- Je vous attends dans mon bureau à 10h, après le déjeuner.

- C'est noté, j'y serais. Puis-je connaître les motifs de ce rendez-vous ?

- Une petite affaire privée. Nous avons à discuter de votre séjour à Kliffay, rien de bien grave. Quoiqu'il en soit, veillez à être présente à l'heure. Merci.

- C'est entendu. C'est à moi de vous remercier pour votre attention.

Elle lui offrit un grand sourire, ce qui sembla le satisfaire, et il partit. Morgane se retrouva seule à nouveau. Elle aurait bien voulu déjeuner avec Clotilde, mais cette dernière était prise par ses parents. La seule option convenable qui lui restait consistait à quitter la pièce, traverser le hall, longer le couloir, et retrouver la salle avec la verrière et le piano, où elle pourrait manger sans être dérangée. Mais, faire tout ce chemin avec une assiette remplie ne l'enchantait guère. De plus, la salle n'était peut-être pas ouverte le matin, ou était déjà utilisée. Néanmoins, déjeuner seule dans cette grande salle, et à la vue de tous, l'enchantait encore moins. Décision prise, elle décidait de migrer vers l'autre partie de la demeure.

- Dame Morgane ?

- Oui... Oh, monsieur Bauvey !

- Vous allez bien ?

- Oui, très bien, ne vous faites aucun souci pour moi. Je me suis très vite remise hier, visiblement vous étiez arrivés à temps.

- Je ne parlais pas de cela.

- Oui,je vois. Je vous dois des excuses pour vous avoir fixés de la sorte mais, il m'a semblé vous avoir vu discuter avec une connaissance.

Viktor parut saisi.

- À quelle connaissance faites-vous référence ? demanda Hypolite en s'avançant.

Desaigu ne l'avait pas encore remarqué. Il était caché par le dos d'une femme qui discutait à sa droite.

- Pourquoi cet air surpris, quelque chose ne vas pas ? demanda-t-il à nouveau.

- Ce n'est rien, ce n'est rien. Bonjour monsieur Bauvey. Vous m'en voyez navrée, je ne vous avait pas vu.

Ses yeux parcoururent la tenue du nouvel arrivant. Elle comprit alors qu'elle avait confondu Théodore avec Hypolite. Un mauvais pressentiment lui pesait à présent. Mais Morgane préféra se concentrer sur les enjeux actuels.

- Ce n'est pas grave, dame Morgane. Néanmoins, j'ai l'impression que quelque chose vous tracasse. Quelle était cette connaissance ?

- Oh, ce n'est rien d'important. J'ai sûrement confondu. Mais parlons d'autre chose, voulez-vous ? Vous avez apprécié votre déjeuner ?

- Non, justement. Nous n'avons pas encore mangé, répondit Viktor en la regardant droit dans les yeux.

- Nous imaginions que vous viendriez manger à notre table. Si cela vous convient, bien évidemment, poursuivit Hypolite, le visage toujours aussi rayonnant.

Desaigu était ravie. Rien ne pouvait lui faire plus plaisir en cet instant. Ils s'installèrent tous trois à une table ronde, prévue initialement pour quatre, qui leur convenait parfaitement.

- Que pensez-vous de Kliffay, dame Morgane ?

- Je pense que c'est l'un des plus beaux lieux qui m'ait été donné de voir. Ils me rappellent mon enfance avant que je ne parte habiter du côté de la vallée, près des villes.

- Je comprends. Mais attendez de voir Bauvey. Vous verrez c'est encore plus charmant.

- Bauvey ?

- Oui c'est notre demeure familiale. Une vraie merveille ! Vous verrez, un jour on vous y emmènera.

- C'est une promesse ?

La jeune femme avait demandé cela sur le ton de la rigolade. Elle titillait un peu l'idée farfelue d'Hypolite.

- Oui, c'est une promesse, déclara Viktor.

- Très bien, vous avez intérêt à la respecter . Car je meurs d'envie à présent de découvrir Bauvey.

Tous les trois avaient les yeux pétillants de malice. Quelque chose s'était révélé à ce moment-là. Morgane était heureuse de se trouver en leur compagnie.

- Puis-je vous poser une question ?

- Oui, bien sûr. Vous m'en avez déjà posé tellement, pourquoi demander la permission ?

- C'est que celle-ci est un peu plus personnelle...

Elle encouragea Viktor à poursuivre d'un signe de tête.

- Qui êtes-vous réellement, dame Morgane ?

*Pour les lecteurs français; déjeuner = petit déjeuner; dîner = déjeuner et souper = dîner. 

Vengeances MacabresWhere stories live. Discover now