Promenons-Nous Dans les Bois

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_octobre 1849_

Ce midi là, les discussions  fusaient autour d'un invité très spécial. Un jeune bourgeois, à la réputation aussi sournoise que sa satisfaction face à l'effet qu'il avait produit en s'invitant à Kliffay, était arrivé. Son apparition matinale avait prit tout le monde au dépourvu. Nul ne doutait qu'aucune invitation n'avait été envoyée à son nom, mais qui pouvait refuser l'entrée de sa demeure à celui qui possédait maintenant la plus grande usine de papier au monde? 

Naturellement, aucun convive ne remarqua que, des Graham, seuls étaient présents Joséphine et Charles. Morgane s'en félicitait. 

La jeune femme portait une belle robe rouge carmin que lui avait apporté Ismérie. Elle lui allait à merveille. Certains regards s'était tournés vers elle lorsqu'elle avait pénétré dans l'imposante salle à manger de Kliffay. Qui était cette délicieuse jeune femme aux yeux de jade?

Morgane trouva Clotilde en grande discussion avec Jacques. D'ailleurs, leurs parents à tous les deux faisaient connaissance près de la grande cheminée. Son amie, jugeait-elle, avait de grandes chances d'épouser monsieur Veerman avant la saison des moissons. 

Elle sentait son cœur se serrer. Si tous ces malheurs ne l'avaient pas frappé, peut-être que sa vie n'aurait pas été si différente de celle de Clotilde. Après tout, sa famille avait possédé un manoir. Nettement plus petit, certes, mais tout de même un manoir. 

Une longue et imposante table reposait au centre de la salle. De part et d'autre, les invités discutaient avec ferveur de sujets divers, mais surtout de ce jeune bourgeois à la réputation sulfureuse. Lorsque les premiers mets furent servis, tout ce beau monde était assis autour de la table en bois.

Le hasard, mais aussi la réticence des gens à vouloir s'en approcher, fit que Morgane se retrouva à manger aux côtés de ce jeune homme étonnant et haut en couleur. Il échangea quelques mots avec elle. Emile De Montpensier, car c'est ainsi qu'il se nommait, lui fit l'éloge sa beauté et lui venta ses mérites. De temps à autre, il changeait d'interlocuteur et se tournait vers son voisin de gauche ou la femme en face de lui - une riche héritière d'une soixantaine d'année au décolleté plongeant et a l'attitude extravagante - mais revenait souvent vers elle. 

La jeune femme écoutait patiemment ce qu'il racontait et fronça les sourcils lorsqu'il mentionna Pâris. 

- Il me hâte de le rencontrer. Voyez-vous, ce jeune homme a eu la fâcheuse idée de me critiquer en publique. J'en ai eu vent et apprécierais de lui faire part de mon ressentit. Une courte entrevue suffira, je sais parfaitement ce que je vais lui dire. Inutile de préciser qu'il ne reproduira jamais plus une telle parjure à mon encontre. 

Il finit sa phrase avec un sourire mesquin. Sans doute s'imaginait-il avoir produit une forte sensation auprès de Morgane. 

Or, ce qui préoccupait le plus la jeune femme à cet instant, c'était le fait que quelqu'un d'extérieur au cercle familial remarque l'absence d'un ou des Graham et l'ébruite autour de lui. Émile De Montpensier n'était pas du genre à tenir sa langue dans sa poche. Desaigu l'avait compris. 

À la fin du repas, exténuée par les discours interminable de son voisin et par la panique qui l'avait gagnée dès lors qu'il avait mentionné  Pâris, elle souhaita regagner sa chambre pour ne plus en sortir. Mais tel ne fut pas le cas. 

Hypolite n'avait cessé de la fixer durant le repas. Tant et si bien que l'idée qu'il fut jaloux effleura l'esprit de Morgane. 

Ce dernier vint la trouver juste après le dîner. 

- Mademoiselle Desaigu, l'interpellat-il.

La jeune femme se tourna vers lui.

- Vous me feriez un grand honneur, poursuivit-il, si vous acceptiez une promenade en ma compagnie. 

Morgane, malgré sa surprise, gardait un masque impassible. Elle jeta un regard discret par dessus l'épaule du charmant garçon. Il ajouta;

- En effet, le temps est radieux pour une journée d'automne. Voyez comme le ciel est dégagé. 

Morgane, qui ne trouvait pas Viktor parmi les invités, suivi le regard d'Hypolite. Les grandes fenêtres de la salle donnaient directement sur les falaises et, de celles-ci, la jeune femme ne put que constater la véracité des propos du jeune homme. Un ciel cotonneux et ensoleillé se reflétait sur les flots. 

- Vous avez raison, Bauvey, le vent s'est calmé et les conditions sont idéales pour une balade! C'est avec joie que j'accèderais à votre requête. 

Le visage de ce dernier s'éclaira. 

- Ne tardons pas, il ne fera pas beau éternellement ! s'exclama-t-il.

Tous deux quittèrent la demeure avec joie. 

Ils s'enfoncèrent dans les bois en se racontant des histoires. 

- Comment trouvez-vous monsieur Darcy, Bauvey ? 

- Je ne l'aimait guère, à vrai dire, au début du roman. Mais j'avoue avoir complètement changé d'avis une fois la lecture finie ! Une fin bien satisfaisante ma fois. 

- Nous sommes d'accord sur ce point! J'ai adoré la fin. 

- Je ne dirais pourtant pas que je l'adore...

Ainsi, ils discutaient des grands chef d'œuvres littéraires, se contredisant à souhait et adhérant sur quelque rares points. Ce jeux leur plaisait. Morgane était impressionnée par sa culture générale. Que n'avait-il pas lu ?

- Pensez-vous que le roi Arthur ait vraiment existé ? demanda-t-elle alors qu'ils discutaient de Chrétien de Troyes. 

- Je l'ignore, fit-il songeur. Vous êtes sans ignorer que vous portez le nom de sa sœur ? Morgane-la-Fée, n'est-ce pas un nom légendaire ? 

- Je l'admet. Oh! J'aimerais tant qu'il eut réellement existé, lui et tous les autres. Imaginez que tout cela soit vrai ! Il y a tant de récits. Cela ne peut qu'être vrai!

- Nul ne peut l'affirmer malheureusement. 

Morgane étouffa un cri. Distraite, elle n'avait pas vu le dénivelé sous ses pieds et avait glissé avant d'atterrir sur un épais tas de feuilles. Elle se mit à rire avec le jeune homme. Ce dernier descendit la pente avec plus de prudence et vint s'allonger à ses côtés.

Le soleil illuminait leurs éclats de rires. La jeune femme, pour la première fois, remarqua à quel point Hypolite était beau. Dans la lumière de l'astre du jour, ses cheveux blonds brillaient comme de l'or et son visage respirait la vie comme la bonté.

Elle en était sûre; il aurait fait un magnifique roi Arthur.  

Vengeances MacabresWhere stories live. Discover now