L'ENFANT PERDU

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On raconte qu'il y a longtemps, bien avant les Sept Jardins, une femme qui était sortie arroser ses fleurs par un matin ensoleillé trouva dans son jardin un petit garçon qu'elle n'avait jamais vu, absorbé dans la contemplation de ses massifs. Il se tenait debout devant un parterre de chrysanthèmes, rigide comme une statue, si concentré que pendant un certain temps, elle resta derrière lui, silencieuse, sans oser le déranger.

« Qu'est-ce que c'est ? », demanda-t-il enfin, montrant que malgré son air rêveur, il était conscient de sa présence depuis le début.

« Ce sont des chrysanthèmes. C'est la saison. Veux-tu en cueillir un ?

— Non, merci. Je préfère les laisser comme ça, c'est très beau, répondit-il en regardant avec intensité autour de lui. Qu'est-ce que c'est, cet endroit ?

— C'est mon jardin. Là, il y a le cerisier, qui ne fleurira pas avant quelques mois, mais quand il le fera, ce sera très beau aussi. Et là, derrière, ce sont des cosmos, mes fleurs préférées.

— Elles sont magnifiques. Qu'est-ce que c'est, un jardin ?

— Eh bien, hésita-t-elle, un peu décontenancée par la question, c'est un endroit où l'on cultive des fleurs, près de sa maison, pour la rendre plus belle et pour se sentir bien. C'est aussi un endroit où l'on peut accueillir ses amis dans un beau paysage, pour leur faire honneur. C'est un peu un reflet de nous-mêmes, et une façon de parler au monde. Enfin, bredouilla-t-elle en s'apercevant qu'elle s'était un peu laissé emporter, je crois que c'est ça.

— Nous avons une très belle maison, mais pas de jardin. J'aime beaucoup le vôtre. Et cet endroit, avec le sable blanc et les cailloux, qu'est-ce que c'est ?

— C'est le jardin sec. C'est un jardin sans fleurs, avec juste du sable et des pierres, qui reste le même quelle que soit la saison. Quand il n'y a plus de fleurs, en hiver, on peut toujours aller voir celui-là, en attendant qu'elles reviennent.

— Comme un jardin dans un jardin ?

— Oui. Il peut y avoir plusieurs jardins à l'intérieur d'un même jardin, et il peut y en avoir de différentes sortes, changeants ou permanents. Chacun peut inventer son propre jardin, même s'il y a quelques règles à respecter. Par exemple, il faut arroser les fleurs, c'est ce que je m'apprêtais à faire. Veux-tu m'aider ?

— Oui, avec plaisir, merci. »

Ils passèrent la matinée à jardiner. L'enfant l'écoutait avec attention, imitait chacun de ses mouvements, posait toutes sortes de questions. Comme sous l'effet d'un charme étrange, elle l'accompagnait, le guidait, lui répondait, sans songer qu'elle ne lui posait, de son côté, aucune des questions qu'elle aurait dû lui poser.

« Mais au fait, tu dois avoir faim ? finit-elle par demander, soudain flétrie de honte et de culpabilité, car elle ignorait depuis combien de temps il était là, et il pouvait très bien y avoir passé la nuit.

Tandis qu'ils déjeunaient à l'intérieur, elle se laissa finalement aller à l'interroger sur sa présence.

« Mes parents ne me laissent jamais sortir, alors ce matin, j'ai eu envie d'aller voir un peu ce qui se passait dehors.

— Ils doivent être inquiets, non ?

— Oui, j'imagine. Ils sont toujours inquiets. Ils doivent me chercher, je devrai bientôt rentrer. Mais je suis content de vous avoir rencontrée. Quand je serai grand, j'aurai un jardin, moi aussi, comme le vôtre. »

Lorsqu'ils ressortirent, après le repas, elle se figea, frappée de terreur : face à eux, de l'autre côté de la clôture de bambou, se tenait une rangée de gardes impériaux en armure. Que lui voulaient-ils ? L'un d'eux, d'un signe de la main, lui ordonna d'ouvrir le portail. Elle obéit promptement, s'inclinant pour leur céder le passage. L'un après l'autre, ils entrèrent dans le jardin et, une fois tous à l'intérieur, s'agenouillèrent devant l'enfant comme un seul homme.

Ce n'est qu'alors qu'elle comprit ce qui était en train de se passer. Elle s'empressa aussitôt de s'agenouiller auprès d'eux, tête baissée, mortifiée de honte.

« Pardonnez-nous, Votre Altesse, cela fait des heures que nous sommes à votre recherche. Vos parents souhaiteraient vous voir rentrer au palais dès que possible, si telle est votre volonté. »

Le garçon tourna vers elle un regard las, dans lequel se mêlaient la gratitude et un adieu. Puis il leur fit signe à tous de se relever et quitta le jardin, suivi de sa lourde escorte. Avant de partir, l'un des soldats s'approcha d'elle et lui dit que l'Empereur et l'Impératrice, reconnaissants, sauraient la récompenser d'avoir offert l'hospitalité au Prince.

Bien des lustres plus tard, dans ses vieux jours, quand on lui demanderait d'où lui était venue son immense fortune, elle raconterait encore et toujours cette histoire, et jamais on ne la croirait. 

DANS LES JARDINS DU PALAIS SUSPENDUजहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें