LE GRAND JARDIN (partie 2)

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Quelques jours plus tard, cependant, un début d'incendie se déclara en fin d'après-midi dans la zone où se trouvait la parcelle de Taishiro, emportant une bonne partie de celle-ci et de ses voisines immédiates en fumée. L'enquête qui s'en suivit ne permit pas d'identifier les responsables, et bien qu'Haruto fût le premier suspect aux yeux de tous, il n'existait pas de preuve irréfutable contre lui. Beaucoup s'attendaient à une nouvelle confrontation entre lui et Taishiro, mais elle n'eut pas lieu. Les deux jardiniers prenaient soin de s'éviter, Taishiro se concentrant sur la remise en état de son jardin à demi carbonisé, son rival poursuivant ses propres travaux comme si de rien n'était. Ceux dont les terrains avaient aussi été touchés par les flammes réclamaient justice, mais en l'absence d'éléments incriminants, l'émissaire ne put que s'engager à tenir compte du sinistre dans son évaluation de leur progression. 

Le concours continua dans une ambiance de tension accrue, chacun se retournant en permanence durant son labeur pour vérifier derrière lui s'il n'y avait pas un départ de feu. Les rondes des gardes dans les Jardins furent renforcées de jour comme de nuit. Aucun autre incident notable ne survint. 

Lors du commencement des épreuves, un matin, quelques semaines après, on constata qu'Haruto manquait à l'appel. Personne ne savait où le trouver. Selon les témoignages des gardes postés à l'entrée d'Hakone, il avait été demandé au portail en pleine nuit pour une urgence familiale. Il n'était pas revenu. Le règlement était formel : toute absence à l'appel matinal entraînait l'élimination. Ses outils et sa parcelle furent répartis entre les concurrents restants.

La nuit, comme elle se sentait un peu prisonnière depuis que la porte de sa chambre était gardée, Sakura avait pris l'habitude de se promener dans les ruelles de la station thermale avant de rentrer se coucher. C'est ainsi qu'un soir, ayant entendu un écho de pas derrière elle et ne voyant personne, elle rebroussa chemin et, au détour du premier croisement, rencontra Taishiro adossé à un mur, dans l'ombre, près d'une lanterne dont la lumière ne l'atteignait pas.

"Pourquoi me suis-tu ? Tu as quelque chose à me dire ? lança-t-elle en palpant nerveusement son couteau sous ses vêtements. 

-- Je ne te suis pas. Je suis seulement venu ici admirer le calme de la nuit.

-- Je viens de passer devant ce mur, tu n'y étais pas !

-- C'est vrai, je l'ai choisi au dernier moment, sur un caprice, je viens tout juste de m'y installer. Et toi, ne serais-tu pas plus en sécurité dans ta chambre ? Il paraît que les lapins ne font pas de vieux os, dans ton jardin...

-- Et le tien, alors ? Qu'est-ce qu'il en reste ? rétorqua-t-elle avant de se rendre compte qu'elle était allée un peu loin.

-- Ça ira, j'ai connu pire, soupira-t-il, les yeux rivés au firmament. 

-- Comment vas-tu faire ? tenta-t-elle d'une voix plus douce, pour se rattraper. 

-- Oh, je vais bien trouver quelque chose. J'aime les défis, et pour tout te dire, j'avais un peu peur que tout cela ne soit trop facile, depuis le début. Là, au moins, les choses deviennent intéressantes. Et de ton côté, comment t'en sors-tu ?"

Il y avait quelque chose de franc dans la question, un soudain abandon du ton moqueur dont il usait habituellement, qui la surprit.

"C'était toi, n'est-ce pas ? demanda-t-elle.

-- Le lapin ? Non, même si l'idée était assez drôle, il faut l'admettre. 

-- Non, pas ça. L'autre nuit... c'est toi qui as prévenu les gardes ? Pourquoi as-tu fait ça ? Après tout, une concurrente de moins, ça devait t'arranger...

-- Mais trois concurrents de moins, c'était encore mieux, tu ne trouves pas ? C'était à notre avantage à tous les deux. Et puis, sans ça, je n'aurais jamais eu l'occasion de voir de quoi tu es capable, ce qui aurait été fort dommage...

-- J'imagine que je dois te remercier, dans ce cas. Pour le lapin, je ne t'ai jamais vraiment soupçonné, de toute façon, s'avoua-t-elle en même temps qu'elle le lui avouait, car étrangement, même si elle le croyait capable de bien des choses, cet acte hideux n'en faisait pas partie. 

-- C'est trop d'honneur, sourit-il dans les ténèbres. Pour ma part, je t'ai un temps soupçonnée d'avoir mis en scène cette petite histoire pour attirer l'attention. Mais après ce qui t'est arrivé l'autre nuit, tu n'en avais vraiment pas besoin. "

Un silence passa entre eux. Une légère brise fit osciller la lanterne, plongeant alternativement le visage de Taishiro dans la lumière et dans le noir.

"Et pour Haruto... ? Tu sais ce qui lui est arrivé, n'est-ce pas ?

-- Il est sorti d'Hakone. Ici, nous sommes bien protégés, mais qui sait ce qui peut se passer, là-dehors, la nuit ? Crois-moi, si on t'appelle aux portes de la ville entre le coucher et le lever du soleil, quelle qu'en soit la raison, mieux vaut ne pas y aller. Tu en as d'ailleurs fait l'expérience avant ton arrivée..."

La lanterne avait cessé de se balancer. L'obscurité l'enveloppait à nouveau. Quand elle s'approcha de lui pour lui poser encore une autre question, elle s'aperçut qu'il n'était plus là.


DANS LES JARDINS DU PALAIS SUSPENDUOn viuen les histories. Descobreix ara