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     Le mois de mars tirait à sa fin, tout comme la semaine de relâche. J'avais profité de celle-ci pour passer davantage de temps à l'extérieur, dans le centre-ville de Toronto. Tous les matins, je me levais tôt pour aller photographier la métropole. Et puis, lorsque le soir se pointait, je me rendais chez Carter pour nos habituelles soirées entre potes. Ma routine avait bien vite repris son cours : je supportais les plaintes d'Olivia, je méditais sur les paroles d'Alison, je consolais mon meilleur ami et je forçais Carter à sortir de son mutisme. C'était comme avant, à vrai dire. Il n'y avait pas d'extra, pas de Sacha pour me sortir des trucs aussi intelligents que débiles au sujet des cactus. Personne n'avait osé parler du fait que je n'étais plus en contact avec Sacha. C'était comme si elle n'avait jamais existé, qu'elle était sortie tout droit de mon imagination. Sacha Macleod était devenue tabou au sein de notre bande, mais j'étais loin d'ignorer qu'Olivia célébrait secrètement sa victoire. Elle avait eu raison, mais je n'étais toujours pas prêt à l'admettre à voix haute. Dans dix ans j'allais peut-être rire de cette mésaventure, mais pour le moment, je cherchais toujours à l'encaisser. Je n'arrivais toujours pas à saisir comment une personne qui m'était familière un jour, pouvait me devenir complètement étrangère le lendemain.

Cette semaine de vacances m'avait offert la possibilité de décompresser un peu. J'avais dû supporter le fait de n'être plus rien aux yeux de Sacha pendant plus d'un mois. J'avais réussi jusque là, mais j'ignorais si j'allais en être capable encore longtemps. Les vacances m'avaient offert un minimum de répit. Prétendre était bien un acte affreusement épuisant. Voilà pourquoi j'anticipais le retour à l'école avec appréhension. Serais-je encore en mesure d'endurer la situation ou allais-je péter les plombs ?

Le dernier vendredi avant le retour en classe, je suis resté dormir chez Carter, entassé contre les sofas de son sous-sol. Toute la bande y était, repliée dans des sacs de couchage. On a tous un peu bu, mais pas suffisamment pour se vider les tripes. On riait, on souriait, les yeux rivés sur le plafond, le corps plongé dans l'obscurité.

— Vous croyez qu'on sera où dans dix ans ? a demandé Alison.

Carter a pouffé.

— Quel question à la con ! s'est-il exclamé. J'en sais rien, Ali !

— Toi, on sait très bien où tu seras : en train de fumer tes clopes derrière un McDo albertain, a rétorqué Olivia.

— C'est chouette les McDos albertains.

— Je parie qu'il y a du bison au menu.

J'ai échangé un coup d'oeil avec Lawrence. Il m'a fusillé du regard et j'ai rigolé.

Le calme est revenu. Les rires se sont peu à peu éteints. Seul le clapotis de la pluie s'écrasant sur le bitume venait briser le silence dans lequel nous étions enfermés. La réverbération des lampadaires se reflétaient dans les minuscules fenêtres de la pièce. Je n'avais peut-être pas toutes les idées claires, mais j'étais en paix avec moi-même. C'était peut-être l'alcool qui me rendait aussi serein, allez savoir.

— Vous croyez qu'on sera encore potes ?

Olivia et Lawrence ont haussé les épaules simultanément.

— J'en sais rien, a murmuré mon amie d'enfance.

— Je l'espère.

— L'année prochaine, ça ne sera plus pareil. On va tous prendre des chemins différents.

Il y a eu un court silence, durant lequel on luttait pour ne pas voir la vérité telle qu'elle était. Lawrence avait raison : on allait tous partir de notre côté. Ces trois derniers mois allaient compter, parce qu'au final, ils allaient marquer la fin d'une période importante de notre vie. J'ai tenté de ne pas trop y penser, mais les idées me submergeaient déjà.

La théorie des cactusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant