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     La pluie a commencé à se pointer au moment même où je fermais le bistro. Un torchon dans une main et une bouteille de produit nettoyant dans l'autre, j'enchaînais table après table. Les énormes fenêtres du café donnait vue sur la rue, là où le vent semblait se déchaîner. Les arbres dansaient de tous les côtés, frapper de plein fouet. J'ai même cru entendre le tonnerre résonné dans le ciel. Ça devait bien faire un moment qu'il n'y avait pas eu d'orage pareil dans le coin.

Du coin de l'oeil, Gina m'observait. Elle comptait l'argent dans la caisse. Hasard ou non, le patron du Bistro Nouveau m'avait jumelé avec elle. En une semaine, elle m'avait appris tout ce que je devais savoir. Même si je passais la plupart de mon temps à m'assurer de la propreté du bistro, il m'arrivait parfois de servir les clients. Et là, j'étais toujours le responsable de maladroits accidents. Au lieu d'un moka, je servais un latté. Au lieu d'un chocolat chaud, je servais un chaï latte. C'était peut-être pour cette raison qu'on me faisait laver les toilettes.

— Tu te débrouilles bien, m'avait dit Gina pour m'encourager.

Elle m'avait alors souri, sincère.

— Ça arrive à tout le monde les accidents, tu sais.

— C'est la troisième fois en deux jours que je confonds du chaï et du café, avais-je dit.

— Tu es nouveau, c'est normal. Laisse-toi une chance.

— C'est pour ça que je lave les toilettes ?

Gina avait levé les yeux au ciel.

— Tu es trop dur avec toi-même.

— Tu n'as pas répondu à ma question, avais-je fait remarquer.

Elle m'avait souri, mais n'avait rien dit pour autant. J'étais donc resté là, sans obtenir de réponse.

Je me suis soudainement rendu compte que je fixais Gina depuis un bon moment déjà. Gêné, j'ai détourné le regard et me suis remis à frotter les tables. Ma collègue de travail a refermé la caisse et s'est dirigé vers moi. Elle a agrippé un balai qui traînait et s'est mise à épousseter le plancher.

— Laisse, ai-je dit. Je comptais le faire après avoir nettoyer les tables.

— J'ai fini de compter la caisse, de toute manière. Si on s'y met tous les deux, on pourra partir plus tôt.

Il y a eu un silence.

— Tu aimes ça, travailler ici ?

J'ai souri.

— Ouais, c'est une chouette place.

— Le patron ne te mène pas trop la vie dure ? Je sais que parfois, il peut être un peu exigeant.

J'ai levé les yeux vers les caméras de surveillance. Gina a souri.

— T'inquiète, ce machin ne fait que filmer, a-t-elle dit. Il n'a pas d'oreilles, si tu vois ce que je veux dire.

Je n'ai tout de même pas répondu. Je me suis mis à nettoyer le comptoir, là où des tâches de café et de lait reposaient un peu partout. Gina m'a observé, son balai toujours en main.

— Alors comment va ton pote Lawrence ? Mon amie, Emmie, ne cesse de me parler de lui. C'est vraiment lourd. Tu savais qu'ils s'écrivaient ?

Je me suis figé.

— Euh, disons, qu'on ne se parle plus trop, lui et moi.

— Ah bon ? Et pourquoi, ça ? Vous aviez l'air d'être les meilleurs potes du monde !

La théorie des cactusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant