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     À mes yeux, rien n'était plus reposant que le son de la mer. Les vagues qui s'échouaient sur la plage dorée, ça, c'était suffisant pour me donner une panoplie de frissons. Ce n'était pas en ayant grandi à Toronto que j'avais connu la plage, le sable, le soleil tapant et l'eau de mer à son meilleur. Toutes ces choses, elles n'avaient rien à voir avec mon quotidien à Toronto. Et pourtant, j'étais reposé. Énormément reposé.

Une semaine auparavant, j'étais tout le contraire de quelqu'un de reposé. Un rien me stressait. Je devais prendre le train pour Vancouver le dix-huit août et ça, croyez-moi, c'était suffisant pour me faire stresser. Parce que ce n'était pas qu'une date de départ. Non, c'était beaucoup plus. C'était une liste de choses sous-entendues qu'il me restait à faire. Une liste interminable que je devais remplir dans un laps de temps serré. Mes nuits, je les passais à me retourner en boucle et en boucle dans mon lit pensant à chaque petit détail qu'il ne me fallait pas oublier. J'avais mon billet, oui. Mais où allais-je loger ? Combien de temps allais-je y rester ? Quels lieux devais-je visiter pour rendre mon expérience plus photogénique ? C'était toutes des questions inquiétantes auxquelles je n'avais toujours pas les réponses.

Le jeudi de la semaine dernière, je dormais chez Sacha. Au bout de quelques heures, ma copine s'était épuisée de me sentir remuer constamment. Elle avait bien essayé les paroles réconfortantes et les petits baisers tardifs, mais rien n'y faisait. Ce soir-là, j'avais donc dormi sur un matelas installé au sol juste à côté de son lit. Je ne lui en voulais pas, après tout je devais être d'une compagnie nettement désagréable.

Lorsque Olivia nous avait invité tous les deux à rejoindre la bande pour un voyage d'une semaine sur la côte-est américaine, Sacha avait sauté sur l'occasion. Sous prétexte que ça nous ferait peut-être du bien à tous les deux, elle m'avait convaincu d'accepter la proposition d'Olivia. Elle était même parvenue à convaincre mes parents. Il faut dire que ceux-ci s'étaient ramollis ces derniers temps : ils n'attendaient plus grand chose de moi et ils me laissaient faire ce que je souhaitais faire.

— À la seule condition que tu nous promettes de ne pas faire trop de folies, m'avaient-ils dit.

C'était la seule contrainte qu'ils m'avaient imposé. La seule. Ils ne m'avaient pas retenu lorsque j'étais parti dans la vieille nouvelle bagnole de Carter avec cinq de mes potes. Ils n'avaient pas prononcés un mot, comme s'ils me faisaient confiance. Qu'est-ce qui leur valait ce changement soudain d'attitude ? Peut-être qu'au fond, ils avaient compris que j'étais un adulte et que bientôt - dans un mois - j'allais voler de mes propres ailes. Néanmoins, ça m'aurait fait plaisir de sortir une liste d'arguments à ma mère pour la convaincre comme je l'avais déjà fait étant plus jeune.

— Tu es un adulte que tu le veuilles ou non, m'avait dit Sacha.

— Je ne croyais pas qu'être adulte c'était aussi soudain.

— Tu crois qu'on devrait le rajouter à notre liste ?

Parce que oui, lors d'une immense période d'ennui, Sacha et moi avions mis sur papier toutes les choses qui définissaient « être adulte ». Nous avions déjà une page complète de définitions.

Nous avions mis douze heures à atteindre le New Jersey. Ces douze heures nous les avions passées entassé à six dans le van beige de Carter, à disputer de nombreuses parties d'échecs et de UNO, la playlist de Sacha en boucle à la radio. À six, nous avions été en mesure de nous louer un petit chalet isolé sur une partie de la plage. De là où nous nous trouvions, nous évitions de rencontrer des Américains ou d'autres touristes portant des casquettes rouges. L'un ou l'autre, ça nous aurait déplu. On n'avait pas besoin de perdre foi en l'humanité alors que nous étions en vacances.

La théorie des cactusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant