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     J'avais pris l'habitude de me rendre chez Sacha à tous les matins, pendant plus de deux semaines. Généralement, sa mère était la première personne à me saluer, puisqu'elle était la seule réveillée. Je montais ensuite à l'étage et je marchais jusqu'à la chambre de mon amie. La plupart du temps, elle dormait encore. Alors, je bondissais sur son lit dans l'espoir de la réveiller. Ça ne fonctionnait pas toujours, ainsi je me mettais à la secouer doucement en murmurant son prénom. Une fois seulement, j'avais dû employer la méthode du verre d'eau froide au visage, chose que j'avais aussitôt regretté. Je n'avais jamais vu Sacha dans une telle rage.

— T'es lourd, me disait-elle en se réveillant.

— Je t'avais prévenu que tu ne pourrais pas te débarrasser de moi.

— Tu deviens collant, Logan.

Un matin, elle était déjà réveillée lorsque je me suis pointé. Sacha était assise sur le bord de sa fenêtre, vêtue d'un peignoir, une tasse de café en main. Elle observait la pluie s'écraser sur le bitume face à sa maison. Je me suis approché tranquillement, de peur de briser la quiétude du moment.

— T'es déjà réveillée ? ai-je demandé.

— En fait, j'ai pas dormi de la nuit.

— Comment ça se fait ?

Elle a refusé de rencontrer mon regard. Je me suis approché et je l'ai agrippée par le bras.

— Sacha, dis-le moi.

Mon amie a dégluti.

— J'ai déjà commencé à perdre ma vision nocturne.

— Tu veux dire que...

Elle a hoché la tête.

— Ça fait chier, ai-je murmuré.

— Tu l'as dit.

Sacha s'est levée et s'est plantée devant sa bibliothèque. Après plusieurs minutes à contempler l'infinité de livres qui s'offraient à elle, elle en a sélectionné un.

— Tiens, m'a-t-elle dit. Tu liras ça.

J'ai pris le bouquin qu'elle me tendait, incertain.

— Sacha, parle-moi.

— Je sais pas quoi te dire, Logan.

J'ai baissé les yeux sur le livre que j'avais entre les mains.

— Tu comptes me faire lire Le Petit Prince ?

— Tu connais ?

— Ouais, je l'ai déjà lu en septième année.

— Alors, tu le reliras.

J'ai froncé les sourcils.

— Il est dit qu'à chaque fois qu'on lit ce bouquin, notre perception de l'histoire change.

— C'est toi qui dit ça ? Ou c'est les spécialistes ?

Elle a souri, énigmatique.

— Un peu des deux, on va dire.

Sacha est retournée s'asseoir sur la banquette près de sa fenêtre. Tous les deux, nous nous sommes fixés en silence. J'aimerais bien dire que tout était immédiatement redevenu comme avant, mais ce n'était pas le cas. Il y avait une certaine tension entre Sacha et moi qui remontait au jour où nous nous étions disputés dans le carrousel. Maintenant que je savais la véritable raison de ses agissements, c'était plus facile de faire preuve de compréhension. Néanmoins, je restais sur mes gardes. Je ne pouvais pas oublier toutes les choses que Sacha m'avait dites. La plupart était fausses, bien entendu, mais ça n'en restait pas douloureux. Comme si une partie de moi refusait d'oublier les paroles blessantes qu'elle m'avait lancé. Sacha avait beau être en détresse à ce moment-là, elle s'était servie de mes plus grandes faiblesses pour m'éloigner d'elle. L'espace d'un instant, j'avais réussi à la détester. Comme quoi, l'amour et la haine ne sont séparés que par une très mince frontière.

La théorie des cactusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant