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Des personnes différentes ont souvent des préférences différentes. C'est évident. En fait, même des personnes semblables peuvent avoir des préférences différentes. Les préférences ; elles auront toujours une part de mystère pour moi. Pourquoi préfère-t-on une chose à une autre ? Est-ce que ça découle directement de qui l'on est, de notre personnalité ? Ou bien est-ce quelque chose d'autre, d'indépendant ?

Ma couleur préférée a toujours été le orange. Il y a toujours quelqu'un pour te demander ta couleur préférée ; et j'ai toujours répondu « Orange ». Moi, je n'ai jamais demandé à qui que ce soit sa couleur préférée, parce que je n'en vois pas bien l'intérêt. Pardon, en fait j'ai déjà demandé à quelqu'un sa couleur préférée. Mais ça ne compte pas vraiment parce que ce n'était pas de ma propre initiative. C'était au collège, en cours d'anglais ; on devait passer au tableau par deux pour que l'un des élèves récite la liste des questions « pour faire connaissance » qu'on avait dû apprendre par cœur et que l'autre donne les réponses qu'il avait préparées. Et à vrai dire, chaque fois qu'on m'a demandé ma couleur préférée ça a été dans un contexte plus ou moins semblable à celui-ci ; c'est à dire au milieu d'une liste de questions « pour faire connaissance ». Et quand je répondais « Orange », la personne qui m'avait posé la question semblait satisfaite et passait à la question suivante. Comme si elle avait l'impression que cette information l'avait renseignée sur celui que je suis et qu'à présent elle me connaissait mieux. Ridicule. Sauf une seule fois : cette fille m'a posé la question et, après que j'ai répondu « Orange », elle m'a demandé pourquoi. Évidemment, j'étais bien incapable d'expliquer pourquoi.

Alors, j'avais fait quelques recherches pour m'amuser, et trouvé que la couleur orange renvoie aux idées d'énergie, de bonne humeur, de persistance. Ou quelque chose comme ça ; je n'ai pas vraiment retenu, parce que ça n'a fait sens pour moi que pendant deux minutes. J'avais relu le paragraphes trois fois, en me disant que décidément ça me correspondait parfaitement. Et pendant ces deux minutes, je me suis dit que ma préférence pour le orange s'expliquait parfaitement, même si je n'avais jamais connu l'explication avant ce jour. Pendant deux minutes, j'ai cru que j'aimais le orange parce que j'étais animé, positif, résilient, amusant, et que ces qualités m'avaient inconsciemment conduit à aimer une couleur qui leur ressemblait. Ridicule. Parce qu'à la troisième minute, continuant de parcourir la page internet sur laquelle j'étais tombé, j'ai lu que la couleur rouge symbolisait l'énergie, le mouvement, l'ambition et la volonté. Toutes choses dans lesquelles je me reconnais tout aussi bien que dans les caractéristiques du orange. Et pourtant, je n'aime pas du tout la couleur rouge. Mes recherches ayant abouti à une absurdité, mon intérêt soudain pour la symbolique des couleurs disparut aussitôt. Depuis, quand on me demande quelle est ma couleur préférée (même s'il faut avouer que cette question devient moins fréquente au fil des années), au lieu de répondre « Orange », je raconte cette histoire. Je trouve que ça a quand même plus d'intérêt.

J'ai renoncé à comprendre pourquoi j'aime la couleur orange. Mais je cherche quand même à comprendre (ou à justifier) la plupart de mes préférences. Et j'y arrive parfaitement bien. Je trouve toujours une explication, du moins dès qu'ils s'agit de choses abstraites. Mais au fond je sais c'est comme pour le orange et le rouge et que je serais tout aussi capable de m'expliquer des préférences que je n'ai pas. A vrai dire, selon moi, toutes les préférences peuvent s'expliquer par l'une ou l'autre de ces deux raisons : « Je m'y reconnais, ça me ressemble » ou « C'est quelque chose qui me fait défaut, que j'aimerais acquérir ». Deux raisons parfaitement contraires l'une à l'autre, ce qui m'a conduit à penser que tout ça n'est une vaste plaisanterie, et qu'après tout les préférences sont probablement aléatoires. Cependant, on ne peut pas nier que l'on en a, et la plupart du temps on n'a aucun mal à les identifier. Alors, pour l'instant, ma théorie des préférences peut se résumer à ça : il y a des points pour lesquels on préfère ce qui est semblable à nous, d'autres pour lesquels on préfère ce qui est différent de nous et ces points ne sont pas interchangeables. Non, ils ne sont pas interchangeables : donnez-moi quelque chose de semblable sur un point où je préfère quelque chose de différent, ou donnez-moi quelque chose de différent sur un point où je préfère quelque chose de semblable, et je ressentirais un petit pincement, un petit grincement.

Comme elle nous apparaîtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant