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Comme je le disais, je ne possède pas, contrairement à Nora, ce désir d'être vu de tous dans toute ma complexité. Alors, deux questions subsistent. La première étant : Pourquoi est-ce que j'aime répondre aux questions du jeu des vérités ? S'il faut être honnête (et forcément il le faut !), je dirais que c'est parce que j'espère avoir une influence. J'espère montrer l'exemple aux autres : sur la sincérité, et sur d'autres choses encore. Il y a des questions qui m'embarrassent, des questions auxquelles je préférerais ne pas répondre. Tant pis : j'y réponds quand même. Après tout je m'en fiche ; mais je ne dirais pas non plus que ça me réjouit. Il se trouve cependant que la majorité des questions ne sont pas de ce type. Pour cette majorité de questions, je suis fier de mes réponses, je suis heureux d'être qui je suis et de penser ce que je pense. Et si je peux faire réfléchir quelqu'un à quelque chose, c'est toujours ça de pris. Je suis épris de l'idée qu'on a peut-être un jour changé la vie de quelqu'un en lui disant un truc qui a changé sa façon de voir les choses, même si on ne le saura jamais. Alors je vais, semant des graines sans savoir si elles prendront ou non. Mais le mieux, c'est le moment où je vois que ça prend : le moment où quelqu'un change d'avis, voit soudain les choses d'une façon différente, un peu grâce à moi. Comme cette étincelle dans le regard des enfants à qui j'enseigne l'anglais, au moment où la phrase qui était floue pour eux prend soudain sens pour eux. Et quand je réponds aux questions des gens au jeu des vérités c'est ce que j'espère voir : le moment où ce qu'ils ne comprenaient pas, ce qui les interrogeait, prend soudain sens. Parce que les gens ne le réalisent pas, mais ils ne posent jamais leurs questions au hasard. Ce n'est pas que je crois que tout le monde ne s'intéresse qu'à lui-même. Mais il faut bien reconnaître que les gens posent le plus souvent des questions sur des sujets qui les intéressent personnellement. S'ils veulent savoir comment je gère telle peur, c'est la plupart du temps parce qu'ils ont la même. S'ils veulent savoir ce que je pense de Machintruc, c'est la plupart du temps parce qu'ils ne savent pas quoi en penser eux-mêmes. Etcétéra. Et le mieux, c'est que même les fois où ils ne sont pas d'accord avec ce que je leur réponds ; j'ai l'impression de les avoir aidés à former leur propre avis. J'ai l'impression que j'ai généré une réflexion ; même s'ils ont choisi eux-mêmes leur conclusion et que ce n'est pas forcément la même que la mienne.

Deux questions subsistaient. Quelle était la deuxième ? Qu'est-ce que ça signifie pour moi que d'être soi-même, si ce n'est pas faire en sorte que les gens me voient comme je me vois moi ? Et bien, Je crois qu'être soi-même, en pratique, ça veut dire faire ce que l'on veut. Tout simplement. Toutes les fois où l'on croit que l'on doit faire ce qui est attendu de nous ou faire comme tout le monde, et qu'on le fait plutôt que d'écouter son âme, son instinct, ses envies, on n'est pas vraiment soi-même. Voilà ce que je crois. Alors non, probablement que je ne suis pas moi-même cent pour cents du temps. Mais je dirais que je le suis quand même plus que la plupart des gens. Je dois ajouter qu'être soi-même c'est surtout ne pas faire ce que l'on n'a pas envie de faire. C'est plus facile que de faire ce que l'on a envie de faire ; c'est un peu plus atteignable comme but. On ne fait jamais vraiment ce que l'on veut. On est toujours influencé par les autres d'une façon ou d'une autre. Il y a des choses que les gens ne sont pas prêts à entendre, des questions auxquelles ils n'ont pas envie de répondre. On ne peut pas toujours choisir le sujet de la conversation ; on ne peut pas imposer aux autres ce qui nous intéresse nous. Alors on compose. Tout ce qui compte, c'est de ne pas trahir qui l'on est, et de savoir faire la différence entre ce qui importe (les sentiments des autres) et ce qui n'importe pas (leurs attentes). Je dirais qu'être soi-même c'est ne pas se conformer aux attentes, sauf quand ces attentes sont conformes à nos désirs et à notre nature. En fait, je crois qu'être soi-même c'est pouvoir se sentir libre.

Comme elle nous apparaîtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant