5.3

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Florian a dit autre chose au dîner. Il a dit que ce que je racontais sur la sincérité était très beau (je crois qu'il dit « très beau » chaque fois qu'il veut signifier « ridicule »), mais qu'on ne peut se permettre d'exprimer tout ce que l'on pense que tant que ce que l'on pense n'est pas trop terrible. Il a dit que tout le monde le détesterait s'il passait son temps à balancer aux gens qu'il les trouve stupides. Je lui ai répondu que c'était bien là le problème : qu'il les trouve tous stupides. Depuis tout ce temps, il continue de mépriser « les gens ». Et je ne vais pas dire qu'il devrait s'atteler à voir le bon en chacun et oublier tout le reste. Mais je crois que, si on essaye de connaître les gens, si on essaye de les comprendre, alors on voit qu'ils sont loin d'être complètement méprisables ou complètement inintéressants. Oui, je sais, moi aussi je juge. Et à moi aussi ça m'arrive de balancer leurs quatre vérités à des personnes qui ne le prennent pas tout à fait bien. Par exemple, quand j'ai dit à Florian qu'il était méprisant ; il a été un peu vexé je suppose. Mais il n'a pas non plus quitté la table en balançant ses couverts. On a continué à parler, et je pense que chacun a fini par comprendre le point de vue de l'autre. Chacun préfère son propre point de vue et c'est très bien comme ça. Mais même comme ça, je pense que c'est toujours plus intéressant de s'efforcer de comprendre pourquoi les gens sont comme ils sont. C'est toujours plus intéressant que de se contenter de leur coller une étiquette assortie d'un jugement de valeur.

Et je ne dis pas que Florian fait ça tout le temps avec tout le monde. Je dis juste qu'il a un peu cette tendance parfois. Et qu'effectivement, ça n'aide pas à pouvoir être sincère. On ne peut être soi-même que dès lors que l'on s'accepte. On ne peut exprimer ses pensées que dès lors qu'on accepte le fait qu'on pense ce que l'on pense. Nora dit que le fait d'avoir des mauvaises pensées n'est en aucun cas une excuse autorisant l'insincérité. Son argument, c'est qu'on est responsable de nos pensées au même titre que du reste. Elle dit même qu'on est plus responsable de ses pensées que du reste, parce que s'il y a une chose sur laquelle on peut avoir de l'influence, sur laquelle on a tout le contrôle, ce sont bien nos propres pensées. Elle dit qu'il y a toujours moyen de chercher à avoir d'autres perceptions si on le veut. Elle dit qu'on ne peut pas toujours éliminer toutes les mauvaises pensées mais qu'on peut les assortir de bonnes. Elle dit qu'on peut toujours faire l'effort de creuser la question et de chercher d'autres points de vue, de nuancer. Je crois que ce n'est pas faux, mais pas si simple que ça non plus.

Comme elle nous apparaîtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant