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A ce dîner avec Florian et Emile, on n'a pas joué au jeu des vérités. En fait, je n'y ai plus joué depuis le jour où Nora m'a sorti un autre de ses « Pourquoi ? » Nora et moi, on était ensemble depuis déjà quelques temps, et elle voulait me présenter à certains de ses amis. Pour qu'on fasse connaissance, je leur ai proposé de jouer au jeu des vérités. Et là, Nora a éclaté de rire. Elle semblait ne jamais en avoir entendu parler, et effectivement je ne lui en avais jamais parlé. Avec ce sourire qui était à demi un rire et qu'elle fait chaque fois qu'elle trouvait quelque chose absurde, elle m'a demandé « Mais pourquoi t'as besoin de ça ? A ce moment là, j'ai réalisé qu'avec elle je n'en avais jamais eu besoin : depuis le début, j'avais toujours demandé tout ce que j'avais voulu demander, toujours dit ce que j'avais voulu dire ; sans jamais me poser de question : Mais il n'y a qu'avec elle que c'était comme ça. Avec elle ce jeu n'était pas un jeu ; c'était une façon d'être. Pourquoi avec les autres c'était différent ? D'après Nora, parce que je ne me moque pas tant que je le dis de ce qu'ils pensent de moi. D'après elle, si leur opinion n'avait pas d'importance, je pourrais aussi bien arriver en leur disant « Bonjour tout le monde. J'aimerais qu'on soit sincères et honnêtes, qu'on dise tout ce qui nous passe par la tête et qu'on zappe toutes les conversations d'usage pour aller directement aux choses qui comptent vraiment. » Je pourrais tout aussi bien entrer, me présenter, et demander directement aux gens quelle est leur plus grande peur sans prendre la peine de faire un discours introductif. Je verrais bien leur réaction et peut-être qu'elle sera bonne mais si elle est mauvaise de toute façon je m'en fiche. Non ? Présenté comme ça, les choses semblaient différentes. Peut-être que Nora avait raison. Ou peut-être que non.

Peut-être que le problème ce n'est pas ce que les gens auraient pensé de moi, mais juste l'idée qu'il faut que je leur laisse le choix. Je ne peux pas leur imposer un mode d'interaction qui ne leur convient pas et faire en sorte qu'ils se retrouvent immergé dedans sans trop savoir comment en sortir, comme piégés. Je trouve plus honnête de le leur proposer ouvertement. C'est ce à quoi sert le jeu. Je ne peux pas arriver et imposer mes préférences à tout le monde. Même si je pense que le monde serait meilleur si tout le monde partageait cette préférence pour la sincérité totale. Mais je comprends ; je comprends que certaines personnes ne souhaitent pas se dévoiler. Je ne voudrais pas mettre qui que ce soit mal à l'aise. Le problème ce n'est pas ce qu'ils penseraient de moi, qu'ils m'en veuillent ou non, qu'ils m'apprécient ou non. Ce n'est pas par rapport à moi. Ce n'est pas que je ne veux pas paraître désagréable. C'est juste que je ne veux pas causer de désagrément. Enfin, je crois que c'est ça. Ça semble se tenir comme explication. Enfin, je crois.

Comme elle nous apparaîtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant