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J'ai connu deux frères jumeaux, semblables pour ce qui est du caractère mais dissemblables en préférences et aspirations. Tous deux étaient introvertis, sensibles, de ces êtres dont sont peuplés les livres ; ceux qui réfléchissent trop, se sentent en décalage avec le monde qui les entoure et essayent de le comprendre sans y parvenir. L'un deux, Emile, a étudié la littérature et, même si à l'époque où il a fait ce choix il ne se l'expliquait pas ainsi, dit aujourd'hui que c'était probablement pour cette raison. Parce qu'il trouvait dans les livres des personnes qui lui ressemblaient, qui semblaient le comprendre mieux que la plupart des personnes réelles. Emile, à l'époque de l'orientation, avait choisi de plonger dans le semblable dans l'espoir d'y dissoudre son sentiment de solitude. Son frère, Florian, a étudié la physique ; et même si à l'époque où il a fait ce choix il ne se l'expliquait pas ainsi, dit aujourd'hui que ce qu'il a probablement été attiré dans cette voie par la perspective d'être face à des choses qu'il pouvait expliquer, immergé dans un univers où la bonne solution existe. Florian avait alors choisi le dissemblable pour y trouver le contrôle qui lui faisait défaut dans le monde social ; dans le monde des êtres humains si complexes.

Florian le scientifique et Emile le littéraire : ceux qui ne les connaissaient que peu les trouvaient différents l'un de l'autre, mais ceux qui les connaissaient mieux savaient qu'au fond ils ne l'étaient pas tant que ça. Ils étaient en grande partie ce fond commun d'interrogations et d'émotions, et différaient l'un de l'autre uniquement par la façon dont ils avaient choisi de faire face aux sentiments de solitude et d'incertitude qui en résultaient. Leurs choix avaient été différents parce qu'ils avaient des préférences différentes. C'est comme ça que j'avais toujours considéré les choses : deux êtres identiques en essence mais différents en préférences.

Au fil du temps, c'est devenu beaucoup plus difficile de conserver cette analyse d'eux. Au fil du temps, c'est devenu beaucoup plus difficile de distinguer ce qui relevait de leur personnalité de ce qui relevait de leurs préférences, et beaucoup plus facile de distinguer Emile et Florian. Ils ont développé des conceptions du monde différentes, des opinions différentes, et ce qui est important pour l'un ne semble pas tant l'être pour l'autre. Peut-être était-ce déjà le cas alors. Ils se comportaient différemment, et j'alternais entre penser que l'un était plus que l'autre en accord avec leur vraie nature et penser qu'après tout ils avaient peut-être des natures différentes l'un de l'autre.

Parfois, ils s'amusaient à lister leurs différences, dans ce qui selon moi n'étaient rien d'autre que des listes de préférences. Ils étaient fiers de ces différences, et plaisantaient toujours en disant qu'au moins jamais ils ne risqueraient de se battre pour une fille. En ce domaine comme en beaucoup d'autres, leurs préférences différaient radicalement. Je les connaissais depuis l'école primaire, et c'était quelque chose que j'avais eu l'occasion de constater de mes propres yeux. Mais ce ne fut jamais aussi saillant que leur première année d'université, à les écouter parler pendant nos cours de tennis du samedi. Au début de cette année là, chacun d'eux était sous le charme d'une fille, et, telles qu'ils les décrivaient, ces filles semblaient aussi différentes que le jour et la nuit.

Comme elle nous apparaîtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant