Blanche-Neige Online

6. La clairière

Je ne suis jamais entrée dans un endroit pareil ! 

Assise sur un petit tabouret vert émeraude au milieu du carré VIP avec Rob et tous ses amis, je ne peux que constater que « La Clairière » porte bien son nom. La boîte de nuit est encore plus étrange que le bar The Forest. Si le bar était entièrement végétalisé avec un plafond de fausses branches, des tables en bois et un comptoir digne d'un bucheron hypster, il s'en dégageait quelque chose de chaleureux, alors qu'ici...

Je lève les yeux vers le plafond constitué d'un écran gigantesque : une lune blanche et des nuages s'y meuvent sous une canopée sombre faite d'un entrelacs de branchages noirs et verts. Parfois la silhouette de petits oiseaux vole d'arbres en arbres ou passe au loin devant les nuages argentés.

Derrière moi, les murs sont également tapissés d'écrans géants, j'aperçois furtivement des silhouettes de biches et de loups se cacher derrière des buissons touffus.

Au lieu de colonnes pour séparer les différentes tables basses en bois recyclé où s'entassent verres et bouteilles, se dressent des troncs d'arbres à l'écorce noir et chocolat. Le lierre pend en grappe généreuse au-dessus des danseurs. Les canapés au velours anis se fondent dans cette nature factice. Seule la piste de danse est éclairée et dégagée : c'est la clairière de cette forêt d'un nouveau genre. Tous ces détails me donnent le tournis. Muette, j'observe ceux qui m'entourent.

Roxanne et son amie Shana commandent nos boissons grâce à l'application pomme-d'amour qui est partenaire de l'évènement, leur demande est relayée au comptoir. Jay raconte quelque chose à Rob et cela le fait rire. Les autres dansent sur la piste. Des serveurs avec de larges chemises à carreaux apportent les commandes sur de beaux plateaux imitant des troncs d'arbre coupés dans la largeur. Rien ne me parait réel. Et pourtant, je suis ici. Avec de parfaits inconnus. Mais qu'est-ce que je fais ?

— Bon sang ! lance Jay depuis le canapé d'en face. Blanche, arrête de mater tout le monde comme si on était des extraterrestres ! Rob, pourquoi tu la trainée ici : elle déteste !

— À vrai dire je n'en sais rien, mais ça me plaît, sourit-il. Ça me plaît au point de vouloir qu'elle reste avec nous toute la nuit, il attrape un verre sur le plateau du serveur et me l'offre. Ça me plaît qu'elle fasse semblant de trinquer avec un sourire timide quand tout son être semble hurler « sortez-moi de là ». Ceci est un mocktail* (*cocktail sans alcool), me précise-t-il, on va ralentir la consommation d'alcool, d'accord ? Je suis responsable de tout le monde quand on sort en groupe, y compris de toi maintenant.

— Je n'ai pas besoin de responsable, je me gère seule, je rétorque.

— Tu as raison, il vide son verre, je dois ramener les autres en bonne santé chez moi pour une « soirée pyjama », mais tu fais comme tu veux. Je ne voulais pas être paternaliste ni intrusif. Ceci dit, je viens de t'entraîner dans mon monde, pourras-tu y survivre au moins une nuit ? Je n'ai aucun remords à t'avoir invitée ce soir, tu sais ?

Il me regarde de ses prunelles d'un bleu très sombre, je baisse les yeux et fixe ses lèvres sans y réfléchir. Il a quelque chose de provocant et de charmant sous son air calme et faussement enjoué. Je ne sais pas ce que je ressens à présent, mais mon estomac se contracte et je détourne le regard pour éviter de penser à quoi que ce soit.

Mes yeux tombent alors sur Jay, qui fronce les sourcils en nous regardant. J'ignore ce que ces garçons veulent de moi, mais je n'ai pas l'intention de m'attarder ici. Je rentrerai au petit matin et j'affronterai Laurine et Fred... enfin, je crois. Plus que quelques heures à tenir.

— Allons danser ! s'écrie Rob devant mon mutisme. Allez, Blanche, viens aussi !

J'ai du mal à me laisser aller sur la piste. Je ne vais jamais en boîte de nuit, ce n'est pas mon environnement préféré. Moi, j'aime la tranquillité de la bibliothèque de l'université ou la sécurité de ma chambre, je suis une solitaire et une timide en réalité. Normalement, je parle rarement à des inconnus. Me retrouver ici est si étrange et vraiment inhabituel...