34. Le sixième nain

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- Vous êtes l'accompagnatrice ?

Le gardien de l'école, assis dans sa loge d'accueil, un journal ouvert sur son bureau, attend ma réponse.

Je lui montre mon téléphone et mon profil lié à celui de Théo, le vigile hoche la tête. Apparemment, cela suffit. Mon profil de Blanche-Neige le fait beaucoup rire.

- L'éveil musical a lieu dans la verrière au fond du couloir. Deuxième à gauche, dit-il avant de replonger le nez dans son journal.

Je traverse le couloir. Les dessins d'enfants accrochés aux murs au-dessus des petits manteaux pendus sur les patères du couloir coloré font remonter en moi d'anciens souvenirs. Tout n'était pas facile quand j'étais enfant. Mes parents se disputaient tous les jours et j'avais peu d'amis, parce que je n'osais pas aller vers les autres. J'avais l'habitude de m'isoler au fond de la salle de classe pendant les récréations. J'avais mes propres jeux, je n'étais pas à plaindre. Je préférais jouer seule. Personne ne pouvait me faire du mal. Le silence de la salle de classe déserte avait quelque chose d'apaisant que je ne retrouvais plus une fois à la maison. Combien de temps ai-je passé à dessiner dans mon coin ? Combien de gâteaux ai-je inventés avec ma pâte à modeler ? Des dizaines ? Peut- être même des centaines.

J'étais heureuse à ma manière. Isolée dans mon univers où j'avais la parfaite maîtrise des évènements. Je mentirais si je disais que je n'enviais pas les enfants dans la cour. Parfois, leurs cris et leurs rires m'atteignaient, comme s'ils surgissaient d'une dimension parallèle. La porte-fenêtre de la salle, qui donnait sur la cour de récréation, avait des allures de barrière infranchissable. Mon monde, leur monde. Deux univers distincts.

Ma main effleure le dessin d'une princesse qui tient une fleur plus grande qu'elle, puis un autre représentant une voiture rouge garée devant une maison au toit vert. J'atteins la salle de classe et cherche des yeux le petit garçon que je dois accompagner à son cours d'éveil musical. Je n'ai aucune idée de ce qu'est un cours d'éveil musical, pour être honnête. J'aviserai en fonction...

La salle est vide. Sur la droite, un tableau noir d'où émanent des parfums de craie ; sur la gauche, de toutes petites tables et des chaises pour enfants. Tout est si mignon. Sait-on qu'on est adulte quand le mobilier pour enfants devient trop petit pour nous ? Quel est le moment précis où on ne peut plus être un enfant ? À quelle date suis-je devenue une adulte ? Y a-t-il un jour précis sur le calendrier de ma vie où tout a changé ?

Je perçois un léger mouvement et tourne la tête. Derrière les tables, il y a un espace bibliothèque et jeux au centre duquel se dresse un château en cubes colorés.

- C'est un merveilleux château, dis-je à voix haute.

Une petite tête blonde surgit brusquement derrière les murailles jaunes et vertes du château. Deux yeux bleus dévorent les joues rebondies d'un garçon, qui me dévisage comme une assaillante. Nous nous regardons en silence.

- C'est ton château ? demandé-je devant son mutisme.

Il hoche la tête sans un mot et disparaît derrière les murs de sa propriété.

- Je suis le prince ! murmure sa toute petite voix.

Je me mets à genoux et regarde par le trou qui fait office de porte d'entrée du château.

- Tu dois savoir qui habite dans ton royaume, alors. Peux-tu m'aider ? On m'a demandé de venir chercher Théo. Est-ce que tu l'as vu ?

- Théo, c'est moi, dit-il très timidement. T'es qui, toi ?

- Je m'appelle Blanche. Ton papa m'a demandé de t'emmener à ton cours.

- Nan ! J'irai pas : le violon, c'est nul.

Blanche-Neige OnlineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant