58. Reine déchue

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La journée s'annonce radieuse et,  malgré ma nuit trop courte, je me sens en pleine forme. Il faut dire que j'ai fini ma soirée sur un ordinateur prêté par Matthias. La tasse de mon café au lait fume encore entre mes mains, je souffle dessus en contemplant les jardins couverts de rosée matinale. La plupart des invités sont partis, d'autres comme moi, flemmardent encore un peu dans cet immense salon, transformé en salle de petit-déjeuner. Je m'extasie encore d'avoir passé la nuit dans ce château.

— Qu'est-ce que tu as fait !

Je lève les yeux en souriant :

— Bonjour à toi aussi, Laurine. Bien dormi ?

— Qu'est-ce que tu as fait ? elle me tend son téléphone à bout de bras.

— En tant que sous-fifre docile, dis-je, je t'ai secondé afin que tu tiennes ta promesse.

— Ma quoi ?

— Tu te souviens qu'hier tu m'as précisé que  si l'occasion se présentait, tu reconnaitrais ma contribution à tes réseaux sociaux ?

Je lui retire le téléphone des mains et appuie sur la dernière vidéo en date.
La voix de Laurine retentit dans tout l'immense salon :

« Bien sûr, Blanche : j'avouerai au monde entier qu'à part montrer mon visage et être une influenceuse reconnue avec un vrai contenu, des idées novatrices et des milliers d'abonné.e.s, tout le travail d'arrière-plan est le tien. Il faut bien des petites mains pour gérer mon royaume, non ? Je sais parfaitement déléguer les tâches essentielles à une amie telle que toi. »

— Tu as déjà des centaines de like et de commentaires. Plutôt sympa, non ? je bois une gorgée de mon café.

— Espèce de...

— Les salons sont filmés aussi, je te signale.

Je croque dans mon croissant, tandis qu'elle scrute les quatre coins de la pièce à la recherche de caméras. En réalité, il n'y en a pas, mais la voir se décomposer m'amuse un peu.

— Retire cela tout de suite, ordonne-t-elle.

— Je te laisse faire. C'est ton royaume, après tout.

— Je... je n'ai plus accès à mes comptes, c'est toi, n'est-ce pas ? Tu as changé tous les mots de passe !

Je hausse les épaules, innocemment.

— Tu y auras accès dans quarante-huit heures, ne t'inquiète pas. D'ici là, tout le monde sera au courant.

Elle pose une main sur la table et se penche vers moi pour me murmurer :

— Tu vas me le payer ! Qui penses-tu qu'on croira ? Moi ou une obscure inconnue qui a piraté mon compte ?

Elle serre le téléphone contre sa poitrine. Je recule et me cale contre le dossier de ma chaise en la regardant calmement :

— Au fait, si tu as vue la dernière vidéo, tu as aussi constaté l'état de tes comptes ?

— Comm...

— Les vidéos faites avec ma participation sont en train de disparaître une part une, malheureusement. Il ne restera donc que celles d'hier soir que tu as prises seule, ainsi que celle avant qu'on travaille ensemble, bien sûr.

— J'ai tout sur clé USB, je...

— Moi aussi, dis-je. La totalité de ce que nous avons produit, mais il se trouve que cela n'est pas tellement important. Mon but n'est pas de te voler. Je voulais juste que tu ressentes la même chose que moi : le fait qu'on te prenne tout.

— Tu n'es rien ! s'exclame-t-elle. Tu ne le seras jamais.

— Ce que je ne suis plus, c'est ta bonne à tout faire, je me lève de ma chaise et faisant un pas vers elle jusqu'à ce que nos visages soient si proches que je puisse sentir son parfum. Ce que je ne suis plus, c'est ton amie. Ce que je ne suis plus, c'est la prisonnière volontaire de ton royaume.

— Tu crois que tu vas t'en sortir comme ça ? rage-t-elle.

— Moi ? Mais je n'ai rien fait, Laurine. Je ne suis personne à tes yeux, je suis inexistante, tu te souviens ? Et dans quelques instants, tu ressentiras la même chose.

— Mademoiselle, nous interrompt un homme.

Laurine n'y prête pas attention, son regard braqué sur moi. Je fais un geste du menton vers la personne qui se tient derrière mon ancienne colocataire.

— Je pense que c'est pour toi, dis-je.

— Mademoiselle, pouvons-nous parler, s'il vous plaît, demande Maître Smith, l'avocat que nous avions croisé dans les rues de Paris.

Laurine perd de sa superbe en le reconnaissant. C'est lui qui était en charge des contrats avec les influenceuses pour cette soirée.

— Je suis au regret de vous informer de la rupture de votre partenariat avec Pomme-d'amour.com, annonce-t-il. Nous sommes très à cheval sur les droits d'auteurs aussi nous préférons reformuler un nouveau contrat avec vous et votre collaboratrice.

Smith me salue et je fais de même.

— Avec... elle ? Laurine s'étrangle presque.

— Non merci, je ne suis pas intéressée, je réponds tranquillement.

— Vous ne pouvez pas proposer cela ! Blanche n'est rien, elle...

— Je regrette, la politique de la société est formelle. Nous ne pouvons pas spolier des auteur.e.s de leurs droits. Sans l'accord de votre collaboratrice, vous n'êtes pas en mesure de répondre aux attentes de Pomme-d'amour.com.

— Mais enfin, vous plaisantez ! C'est moi la reine, c'est moi que vous avez choisie, l'avatar de mon site correspond complètement à votre...

— L'avatar a disparu cette nuit, la coupe Maître Smith, ainsi que tous les supports graphiques qui vous avaient différenciée des autres influenceuses plus populaires que vous. Nous sommes au regret de devoir annuler la collaboration promise, qui aurait dû être signée après cette soirée. Je suis navré, mais sans le travail et l'accord de Mademoiselle, ici présente (il me désigne en me souriant), vous n'êtes pas en mesure de répondre à nos attentes. Si vous changez d'avis, dit-il en me donnant sa carte professionnelle, vous pouvez me joindre à ce numéro.

Il nous salue et nous quitte pour rejoindre Madame La Sorcière, qui déjeune à quelques tables de la mienne. Je rêve où elle vient de me faire un clin d'œil ?

Laurine se passe une main sur le visage, me regarde et regarde Smith. Elle serre le poing en se contenant :

— Blanche, tu pourrais...

— Pas moyen, je réponds. Tu auras accès à tes comptes dans quarante-huit heures et tu pourras changer tes mots de passe à ta guise, tu vas recevoir un email à ce sujet. Quant à tes postes, tu pourras les remettre un par un, sans avoir accès à mon travail : les filtres, les avatars, les bruitages. Je ne suis pas comme toi : je ne te dépossèderai pas de ton propre travail. Maintenant, j'ai à faire, je te laisse.

Je quitte les lieux sans même la saluer. J'ai autre chose en tête, car j'ai rendez-vous avec Rob...

Blanche-Neige OnlineWhere stories live. Discover now